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    Le 29 mars 1918 à 3 heures de l’après-midi, les Allemands nous attaquent à Mézières et attaquent les Anglais à Demuin. Nos alliés fléchissent. Leur fléchissement entraîne notre repli. Deux heures plus tard, nouvelle attaque sur notre nouveau front le Plessier-Mézières. A la tombée de la nuit, troisième assaut, cette fois sur le front Pierrepont-Gratibus. L’ennemi progresse encore, certes, mais lentement. Ce n’est plus l’irrésistible ruée. On le sent désormais contenu.
    Sur les journées du 30 et du 31, l’historien de la Revue des Deux Mondes a écrit :
    « Ce fut un assaut général sur Debeney comme sur Humbert ; attaques sur le Monchel, attaques sur le Mesnil-Saint-Georges, attaques sur la côte 104 et Fontaine-sous-Montdidier, attaques sur Grivesnes, attaques sur Aubvillers : parfois trois, cinq, sept attaques sur la même position. Toutes furent repoussées, et le 6e corps maintenait ses positions. A gauche, on était moins heureux : le général Nollet, commandant le 36e corps, avait pris le commandement des troupes ; elles se grossissaient de nouvelles divisions, mais arrivaient sur le champ de bataille fatiguées et parfois démunies. Moreuil fut perdu vers le soir. Mais la ligne se reformait derrière l’Avre. Maintenant, les Allemands étaient réduits aux attaques locales. Il semblait que toute cette torrentielle irruption se diluât, n’assaillant que quelques points, refluant parfois un morceau de la digue, se heurtant immédiatement à une autre digue. Le 31, jour de Pâques, notre armée paraissait maîtresse de la situation : l’ennemi, qui s’était porté à l’attaque de Grivesnes, prend-il pied dans le parc, une contre-attaque l’en rejette, et c’est nous qui attaquons le Mesnil-Saint-Georges, retombé la veille entre les mains de l’Allemand. A-t-il pénétré dans Hangard, on l’en expulse. En ce jour qui fut glorieux pour tous, la 56e division quittait le champ de bataille où elle venait d’égaler et peut-être de dépasser les plus beaux exploits. Soldats incomparables qui eussent arraché à tous ceux qui les avaient vus combattre le cri où l’un d’eux faisait tenir le summum de l’admiration désormais : Ils ont fait mieux qu’à Verdun ! ».

    Moreuil et la Grande Guerre


    Le 1er et 2 avril, le formidable assaut allemand se réduisait à des attaques violentes encore, mais localisées, dans la région de Grivesnes et au nord de Moreuil. Ici et là, nous les repoussions. Le général Debeney pouvait constater :
    « La 1re armée a réalisé la soudure entre les armées françaises et britanniques. Sa ligne de bataille est formée, son déplacement terminé. »
    Il ajoutait :
    « Maintenant, il faut agir. La deuxième phase de la grande bataille va commencer. Nous tenons le bon bout. Que tout le monde s’y mette sans compter. »
    Pourtant, l’ennemi lui réservait une dernière attaque sur laquelle s’achèverait réellement la “première phase”.
    Le 4 avril, quinze divisions allemandes, dont sept de troupes fraîches, foncèrent sur un front de dix-sept kilomètres. Mailly, Morisel, Castel, le bois de l’Arrière-Cour nous étaient enlevés. Mais, le 5, nous reprenions nos lignes aux abords ouest de Mailly-Raineval et de Cantigny. L’ennemi avait tenté vainement d’atteindre la voie d’Amiens à Clermont. Dans le même temps, les Allemands prononçaient une autre attaque, ou plutôt prolongeaient la précédente vers le nord, entre l’Avre et la Somme. Ils obligeaient nos alliés anglais à céder un peu de terrain à l’est de Villers-Bretonneux.

     

    Extrait de :

     
    moreuil MOREUIL ET SON CANTON
     HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE
     
     Alcius Ledieu
     14.5 x 20.5 cm - 190 pages Photos et dessins N/B.
     
     
     
     
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    Mes séjours de vacances sont carrément passés du sud au nord de la France. Jusqu’à la guerre de 1939, pendant deux grands mois l’été et une quinzaine à Pâques j’ai lancé mes amarres dans le petit port du Crotoy, fidèlement et avec beaucoup d’attachement pour cette terre picarde un peu rude mais où j’ai laissé une partie de moi-même. Cette petite station balnéaire, qui a fait depuis un grand chemin touristique, est située dans la baie de la Somme, étant petite, j’ai longtemps entendu « la bête Somme », c’était beaucoup plus poétique et effrayant.

    Souvenirs de vacances au Crotoy

     

    Après avoir confié aux bagages la grande malle en osier, on grimpait à la gare du Nord dans le train qui nous emmenait, via Amiens et Abbeville, jusqu’à Noyelles où nous attendait patiemment le petit tortillard. Un sifflement, un crachotis de vapeur et nous voilà partis à travers champs et marais, le long des ruisseaux bordés de saules creux, au nez des paisibles moutons de pré-salé. Une ou deux petites haltes obligatoires, le reste du temps on s’arrêtait à la demande des voyageurs postés le long de la voie. Trois ou quatre wagons entièrement en bois avec une petite plateforme à l’air libre à chaque extrémité où l’on pouvait vivre plus dangereusement car il y avait des virages assez secs, l’escarbille agressive, et qui sait, peut-être des indiens au détour d’un bosquet. Quand on apercevait les tourelles d’une maison suspendue au-dessus de la mer et que l’air devenait franchement maritime, c’était le Crotoy, les vacances, la liberté, la plage, les dunes, les crabes, le gâteau battu, les jardins pleins de roses. La ville à cette époque était assez peu étendue mais possédait un nombre incroyable de sites différents. Au centre, face à la mer, se trouvait la place Jeanne d’Arc avec sa statue et à ses pieds un canon d’époque. Deux fois par semaine, s’y tenait le marché, l’espace était clos par des grilles et au coup de cloche qui annonçait l’ouverture des portes, c’était une ruée sauvage pour être la première à "acater" la meilleure et moins chère paire de "glennes" vivantes ou le beurre le plus savoureux que l’on peut goûter à la pointe d’un couteau. Tout à côté, s’avançait l’estacade au-dessus de l’eau ou de la vase, selon les marées, les bateaux y étaient sagement alignés, la halle au "pichon" avec l’indéchiffrable et mystérieuse criée de la pêche.

    En allant vers le bassin de retenue des eaux, quelques vieilles maisons avec des enfants en guenilles qui mendiaient un p’tit sou. Ces écluses du bassin destinées à éviter l’ensablement de la baie étaient un but de promenade pour les temps un peu gris mais pas trop pluvieux. A la différence des écluses fluviales, les vannes se manœuvrant perpendiculairement, le client qui traversait au-dessus était toujours accessible. Déjà en elles-mêmes, ces deux espèces de tours avaient un aspect menaçant ou tout au moins incongru dans ce paysage de verdure, de sable et d’eau calme, barrant le ciel de leur masse de fer et de briques. Quand elle s’ouvraient il fallait se tenir solidement à la rambarde au-dessus du gouffre bouillonnant, le grondement de l’eau couvrait les voix, des éclaboussures vous fouettaient le visage et au bout d’un moment, l’eau semblait monter jusqu’à vous, prête à vous engloutir définitivement, image d’une puissance satanique tapie au fonds du sable et qu’on libérait tout à coup fort imprudemment, c’était angoissant, délicieux de terreur contenue. Je classais donc ce bâtiment dans la catégorie des monstres qu’il fallait respecter et tenir à distance.

    Suzy Daziron-Vincent

     

    Extrait de :

     CHOIX DE LECTURES HISTORIQUES
     SUR LE DÉPARTEMENT DE LA SOMME
     avec de nombreuses illustrations.
     
    A lire dans cet ouvrage : 
    - Le canal de la Basse-Somme
    - La cathédrale d'Amiens
    - Une traversée de la Somme
    - Une balade autour de la Baie de Somme au soir du XXe siècle
    - Ham et son prince prisonnier
    - Les plaisirs du bain ves 1900
    - La bataille d'Airaines
    - Corbie : une abaye célèbre dans toute l'Europe
    - Souvenirs de vacances au Crotoy
    - La zone interdite dans la Somme 1940-1944
    - Le Bois de Cise : histoire du site créé en 1898
    - Le château fort d'Applaincourt
    - Antoine Galland (1646-1715)
     
     
     Collection En Somme n° 10  -  15,8 x 24 cm  -  ISBN 978.2.35637.108.9  -  134 pages 
     

    Pour découvrir la Collection En Somme

     

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    Jusqu'à la bataille de Formigny, cette heureuse victoire qui chassa à tout jamais l'Anglais de la Normandie (1450), les navigateurs dieppois renoncèrent aux aventures et aux chances maritimes ; mais quand enfin Louis XI se fit sentir à ce peuple sur lequel il s'appuyait pour venir à bout de la puissance féodale, soudain tout recommença dans ce port silencieux. On construit des vaisseaux, on prépare des expéditions lointaines ; on se met en défense contre les Portugais, et ceux-ci, maîtres depuis cinquante ans du littoral africain jusqu'à l'équateur, se montrent décidés à ne pas céder ce monopole qui ferait du Portugal un des plus riches royaumes de l'Europe ; toutefois, comme ces batailles sur les flots de l'Afrique coûtaient plus d'hommes et plus d'argent que la Guinée ne rapportait de poivre, d'ivoire et d'or, les gens de Dieppe se mirent à songer que d'autres chemins moins dangereux devaient conduire à la même fortune. Dieppe donc commença la science hydrographique, et ensuite de la boussole, ce guide infaillible. Ont-ils, les premiers, pressenti la puissance de l'aimant ? C'est une des prétentions de notre province ; car, disent les gens de Dieppe, les Vénitiens, qui se sont attribué l'invention de la boussole, l'ont peut-être rapportée de notre ville de Dieppe. Il est vrai qu'au retour de leurs grands voyages en Hollande ou dans la Baltique, les matelots de Venise faisaient une relâche au port de Dieppe. Ce qu'il faut dire, c'est que, à l'heure propice où elle fut découverte, la boussole était dans l'air, comme l'idée du Nouveau-Monde, comme l'imprimerie, comme toutes les révolutions nécessaires aux progrès de l'esprit humain, révolutions qui arrivent à l'heure marquée par la Providence, ni trop tôt, ni trop tard !

    Dieppe, la boussole, et le Nouveau-Monde

    Dieppe, Place du Casino.

     Extrait de :

     La "grande" histoireLA NORMANDIE
    Histoire - Paysages - Monuments

    Jules Janin

    Illustré par MM. Morel-Fatio, Tellier, Gigoux,
    Daubigny, Debon, H. Bellangé, Alfred Johannot.

    14 x 21 cm - 652 pages - Illustrations - Reprint 

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    Le sarclage est une des opérations les plus importantes, mais aussi les plus négligées dans le potager ; il consiste à enlever les mauvaises herbes des semis, à la main, lorsque ceux-ci, faits à la volée, sont très jeunes et très serrés, et avec le sarcloir lorsqu’ils ont été faits en lignes.

    En principe, il ne doit jamais exister de mauvaises herbes ni de plantes étrangères dans les semis destinés au repiquage, ni dans les plantes ensemencées à la volée ou en lignes. Les mauvaises herbes sont toujours beaucoup plus vigoureuses que les plantes cultivées ; de plus, elles poussent en quantité prodigieuse, par conséquent elles vivent au détriment des plantes cultivées, non seulement en absorbant l’engrais qui leur était destiné, mais encore en les étouffant avec leurs feuilles et leurs racines.
    Dès que les semis sont bien levés et que les mauvaises herbes apparaissent, on fait un premier sarclage à la main, c’est-à-dire que l’on arrache une à une les mauvaises herbes. Il faut bien se garder de les laisser devenir plus fortes que les plantes semées, sous prétexte que l’herbe est trop petite ou qu’il fait trop sec.
    On tient le sarcloir de la main droite ; avec la pointe on pénètre très avant dans les lignes pour éclaircir les parties trop drues, et avec les côtés on tranche rapidement, entre deux terres, les racines des herbes placées entre les lignes, pendant que la main gauche enlève les herbes coupées, et arrache celles qui ont échappé au sarcloir.
    Il y a avantage à détruire les mauvaises herbes, et éclaircir avec le sarcloir : le binage, opéré très superficiellement avec cet instrument, ameublit la terre, la rend perméable et rechausse les plantes. Il est bien rare de donner un troisième sarclage quand les deux premiers ont été bien exécutés, et surtout faits à temps, car alors le semis s’est assez fortifié pour envahir complètement le sol, et il étouffe à son tour les mauvaises herbes. Les sarclages sont peu dispendieux ; ce sont des femmes qui les exécutent la plupart du temps. Ils avancent considérablement la récolte, et en augmentent énormément la qualité et la quantité.

    Au potager en 1900 : sarclages et binages

     

     

     

     

    Le binage est une des opérations les plus importantes, et celle qu’il est le plus difficile d’obtenir des praticiens. Il contribue, à lui seul, aussi puissamment au succès des cultures que les labours et les arrosements tout à la fois.
    On considère généralement le binage comme une opération uniquement destinée à détruire les mauvaises herbes ; c’est une erreur profonde. Le binage rend le sol perméable à l’air, et y maintient l’humidité. Par conséquent, il agit énergiquement sur la végétation, en facilitant la décomposition des engrais, et en accélérant l’ascension de la sève ; c’est là son principal but. Ce binage est aussi efficace qu’un bon labour sur la végétation ; la destruction des herbes n’est que secondaire.
    Tout ce qui n’est pas paillé dans le potager doit être très fréquemment biné, surtout après les arrosements qui battent la terre et forment à la surface une croûte dure et sèche.
    Cette croûte superficielle est très nuisible à la végétation, surtout dans les sols un peu compacts. Elle empêche, d’une part, l’air de pénétrer, et s’oppose par conséquent à la décomposition des engrais ; de l’autre, cette croûte dure et desséchée arrêtant l’évaporation. Il n’y a plus d’humidité à la surface. Aussitôt la croûte superficielle brisée, l’air et les rosées pénètrent le sol, et, l’évaporation se rétablissant, l’humidité du fond remonte à la surface par reflet de la capillarité, et apporte aux racines la fraîcheur dont elles étaient privées.
    Il est impossible de déterminer le nombre des binages et l’époque à laquelle il faut les donner. Cela est subordonné à la nature du sol, à sa consistance, et aussi à la température. Il est évident qu’il faut biner plus souvent dans un sol argileux que dans un sol léger ; la terre s’y croûte plus vite, et sa cohésion est telle qu’elle se fend pendant la sécheresse.
    Les binages doivent être plus fréquents dans tous les sols, quand la température est très élevée un bon binage est plus efficace qu’un mauvais arrosement, surtout s’il est mal appliqué. Une petite quantité d’eau jetée brusquement bat la terre sans la mouiller, et ne fait qu’augmenter l’épaisseur de la croûte superficielle.
    Les binages sont indispensables après les arrosements, car, quelque bien administrés qu’ils soient, ils déterminent toujours la formation d’une croûte à la surface du sol, et il est de toute nécessité de la briser pour que les arrosages soient fructueux.
    On pratique le binage avec plusieurs instruments.

    Au potager en 1900 : sarclages et binages
    La binette est très expéditive, mais c’est un outil imparfait pour le potager ; il ne pénètre pas assez profondément et n’ameublit pas suffisamment le sol. L’emploi de la binette dans le potager doit se restreindre aux pommes de terre et aux cultures très éloignées et rarement arrosées.
    Nous emploierons presque toujours la cerfouette, outil bien plus énergique, et opérant un travail plus parfait.
    La grande cerfouette nous rendra les plus grands services dans les planches de choux, les salades, etc. La lame pénètre très facilement, remue la terre à une grande profondeur et détruit toutes les mauvaises herbes. Avec les dents, on ameublit très profondément le sol autour des racines, sans les endommager. La façon opérée, un coup de crochet donné vivement ramène toutes les herbes à la surface, où il est facile de les enlever, et unit parfaitement la planche.

    Au potager en 1900 : sarclages et binages

     

     

     

     


    La petite cerfouette rend les plus grands services dans les pépinières de légumes. C’est le seul outil à employer. La lame effectue un binage énergique entre les lignes, le crochet brise les mottes, ramène l’herbe à la surface, et rechausse les plantes. La petite cerfouette peut être employée avec le plus grand avantage pour biner, pendant les grandes sécheresses, les semis en lignes de carottes, oignons, etc. Le sol est remué profondément avec la lame et avec le crochet, sans endommager les racines, et la récolte gagne énormément à cette opération.
    Enfin, si, comme cela arrive dans les jardins bien cultivés, il n’y a pas de mauvaises herbes, et que l’année ne soit pas trop sèche, on accélérera très sensiblement la végétation en donnant de temps en temps un hersage dans les planches avec la petite fourche crochue. Le sol est fouillé à 8 ou 10 centimètres de profondeur l’air y pénètre facilement, décompose les engrais, et la végétation y gagne beaucoup.
    Je ne saurais trop insister sur la nécessité des binages, et j’insiste d’autant plus qu’il existe un préjugé très enraciné chez certains praticiens ; ils ne veulent pas biner par la sécheresse, et sont convaincus que le binage fera sécher la terre davantage encore. Le contraire a lieu : le binage donne de la fraîcheur au sol. Un binage énergique est plus efficace qu’un arrosement incomplet. Si vous manquez d’eau, binez souvent et profondément : vous sauverez vos plantes. Qui bine arrose ! 

     

    Extrait de :

      Cuisine & JardinsLE POTAGER MODERNE EN 1900

    Volume 1 : Création & conduite

    14.8 x 21 cm - 114 pages - Illustrations

      Vincent-Alfred Gressent

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    Peut-être maintenant une hâte de regagner l’année zéro, de laisser s’éclipser une humanité déjà étrangère qui poursuit son chemin, être absorbé par les paupières de la forêt, il est temps de rentrer dans ce monde et dans ce poème qui durent – c’est simple et lumineux.
    J’avais douze ans quand ma ville natale Amiens a été détruite ; j’ai passé mon adolescence dans les décombres – c’étaient des décombres clairs et innocents ; plus tard il y eut de nombreuses ruines moins innocentes, celles de la civilisation campagnarde qui avait été celle de l’Europe, celle des idéologies... j’ai aussi vécu dans ces ruines, d’une humanité nouvelle – je tiens de toutes mes racines aux décombres. Je peux dire que ch’catieu de Picquigny et le picard sont des décombres auxquels je me cramponne.
    La poésie elle-même aujourd’hui semble passée. Obsolète et muchée comme le picard le château de Picquigny derrière les siècles, derrière ce siècle. Alors les clandestins se rencontrent et s’attachent l’un à l’autre.
    La poésie se fait picarde et catieu d’Pinkigni (1277).
    La langue poétique a aussi des créneaux et des meurtrières ; elle est elle-même un château fort ; regardons un sonnet sur sa page ! Eine feste Burg ist unser Gedicht (*).

    Le château de Picquigny - Ech catieu d'Pinkigni


    Le château de Picquigny, c’était mon lieu de jeu préféré quand j’étais enfant ; nous venions d’Amiens à vélo ou à pieds, ou nous prenions le train à la gare Saint-Roch ; nous montions au château le sac plein d’illustrés, Tarzan, Mickey ou Bibi Fricotin – et quand nous redescendions nous allions manger de la tarte aux pruneaux chez Madame Weiss près de la gare ; plus tard, adolescent, je revins acheter des pigeons boulants qu’un éleveur expérimenté, installé près du passage à niveau, me vendait ; j’avais la passion des pigeons, je l’ai encore ; un autre éleveur qui habitait Saint-Pierre-à-Gouy me vendait de magnifiques Cauchois. Je collectionnais alors des livres sur l’élevage, aussi vieux – enfin, presque – que le château de Picquigny. J’avais, j’ai encore, un livre du XVIIIe siècle sur l’élevage des oiseaux ; je me souviens l’avoir lu dans la cour en contre-bas du donjon ; je me souviens des chauves-souris dans les souterrains du château – et dans un couloir cet extraordinaire gibet avec une haute échelle et des mots inscrits dans la craie – déjà une poésie visuelle.

    (*) « Une forteresse est notre poème » –
    d’après le célèbre vers de Luther « Eine feste Burg ist unser Gott » – « Une forteresse est notre Dieu ».

    Pierre Garnier

     Extrait de :

    Pierre Garnier Picardie

     PICARDIE


     
    Pierre Garnier

     
    Format 20 x 29.5 cm - 200 pages

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