• Vieillards du monde paysan d'Artois (vers 1950)

    La vieillesse s’abattait, automatiquement, à cinquante ans plus ou moins quelques années. Les femmes s’y résignaient facilement, c’était une fatalité. Les enfants avaient alors déjà plus de vingt ans, souvent des petits-enfants étaient nés, les grands-parents étaient morts ou très vieux. Alors les femmes s’habillaient définitivement en noir ; elles laissaient la place aux jeunes.
    Les vieux restaient chez eux avec le couple qui reprenait la ferme, ils ne s’arrêtaient pas de travailler. Malgré l’âge, de nombreuses tâches nécessitant peu de forces, leur revenaient de droit. Ils avaient le temps même si, globalement, il leur était compté. C’était, pour les hommes : donner à manger aux lapins, il fallait couper l’herbe à la faucille autour de la ferme et la ramener dans de grands paniers en osier, donner à manger aux poules, jardiner, tailler les haies, réparer le petit matériel, aiguiser, réparer les harnais, nouer les « cahouts » et pour les femmes : faire la cuisine, aider à la vaisselle, tricoter, broder, allumer le feu.
    Au fil des ans, les corps se déformaient, se courbaient vers le sol, les jambes ne portaient plus, les hanches se bloquaient. Le vieux se déplaçait avec une canne puis plus du tout, restant tout le jour assis près d’une fenêtre tout en étant au courant et en s’intéressant à tout comme si le temps se suspendait et que la vie était éternelle. Les rhumatismes déformaient les mains calleuses, les doigts devenaient crochus, les articulations gonflaient, recouvertes d’une peau lisse, fine et rouge. Souvent la tension montait à des valeurs affolantes : 16, 18, 20 et même 25 de tension n’était pas rare, car on gardait bon appétit, il fallait bien, « pour rester en bonne santé » !
    Les vieux étaient les interlocuteurs privilégiés des enfants qui les recherchaient parce qu’ils avaient le temps de répondre à leurs questions et d’assouvir leur curiosité. Les hommes racontaient leur guerre, les batailles à la baïonnette, les fouilles de sapeurs menées si près des tranchées ennemies qu’on les entendait parler, les déplacements rapides et silencieux des canons tirés par des chevaux dans le noir de la nuit, les voyages lointains aux Dardanelles, récits d’où le temps avait expurgé la cruauté et la souffrance pour ne garder qu’un parfum d’aventure.

    Vieillards du monde paysan d'Artois (vers 1950)

     

    Extrait de :

     paysan Artois ABÉCÉDAIRE DU MONDE PAYSAN 
      La campagne d’Artois vers 1950
     
      Dominique Voisin

     14 x 21 cm - 148 pages   avec cahier-photos N/B 

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