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L’originalité des croyances et coutumes de Picardie maritime
Je me suis inspiré de l’ouvrage d’un érudit amiénois qui fut aussi l’un de mes professeurs à l’Ecole normale d’Amiens, Maurice Crampon, ouvrage intitulé Croyances et coutumes de Picardie, paru en 1964 au Centre Régional de Documentation Pédagogique d’Amiens. Je ne les ai pas relevées toutes, mais seulement celles qui me semblent significatives. Commençons par celles qui se rapportent au culte des pierres remontant à la Préhistoire, aux Ligures et aux Celtes. Ce culte a été christianisé dès le début du Moyen Age, et a disparu à la fin du XVIIIe siècle, début XIXe. Par exemple, à Famechon, on suspendait un caillou percé dans les étables et les écuries, afin de préserver les animaux des maladies. Cela ne se faisait pas dans tous les villages, du fait du manque de communication à ces époques lointaines. Les enfants noués, c’est-à-dire qui ne pouvaient ou ne voulaient marcher étaient conduits en même temps que les langreux (en patois picard : chétifs), à la pierre froide de la chapelle Saint-Milfort d’Abbeville. On les faisait asseoir trois fois, le cul nu sur cette pierre. La croyance assurait qu’il pouvait ainsi se relever et marcher. Le nom du guérisseur Milfort justifiait que les enfants devinssent forts, voire mille fois forts. Les raclures de pierre avaient aussi des vertus prophylactiques. Les Picards prélevaient de la terre qu’ils gardaient dans leurs maisons et qu’ils avaient puisée à travers les trous ménagés à cet usage dans le tombeau de Saint-Germain-sur-Bresle (vallée de la Bresle). Cette terre venue du sanctuaire du saint devait donc guérir de toutes les misères. A Noyelles-sur-Mer, la fosse de Gargantua aurait été creusée par un pas du célèbre géant, un jour de dégel. La terre tombée de ses chaussures aurait formé trois buttes de pierres, qui étaient en réalité des tombelles. Des fouilles pratiquées au XIXe siècle permirent d’y découvrir des cendres des ossements humains et des os de chevaux. La plus haute, la tombelle de Saint-Ouen porte ce nom, certainement du fait du passage des reliques de ce saint homme. Trois arbres s’y élevaient, dont un assez gros qui servait de repère et de guide aux navigateurs de la Somme. Ces tombelles sont entre Noyelles et Port-le-Grand, elles mesuraient encore quinze pieds de hauteur (quatre mètres et demi) au XVIIe siècle, beaucoup moins maintenant du fait de l’érosion. Un culte qui remonte à l’origine de l’homme, c’est aussi le culte solaire. Les fêtes du Béhourdis ont disparu à la fin du XIXe siècle. Pour fêter le retour du soleil au printemps, les habitants d’Hangest-sur-Somme parcouraient les champs et les vergers avec des flambeaux. On allumait des feux à Longpré-les-Corps-Saints, à Buigny-lès-Gamaches, etc. Cette coutume est à rapprocher des feux d’os et des feux de la Saint-Jean ; elle est même en train de renaître depuis la fin du XXe siècle et de se propager dans de nombreux villages. Parallèlement existait aussi le culte lunaire. Par exemple, les vieilles dames d’Airaines se signaient quand la lune apparaissait le soir. Dans le Vimeu, on montrait de l’argent à la lune nouvelle, afin de ne pas en manquer pendant la durée de la lunaison (29 jours et demi). La vieille lune a la réputation d’exercer une mauvaise influence sur les bêtes et les gens. En période de lune descendante, les arbres abattus se mangent à vers, les viandes salées se conservent mal. Les jardiniers profitent du déclin de la lune pour planter leurs pommes de terre et leurs haricots, de sorte qu’ils ne donnent pas trop de vert à la ligne. Un cultivateur d’Airaines ne récoltait jamais de blé noir parce qu’il semait entre l’heure du lever de la lune et l’heure de son coucher. Pourquoi pas ? Lorsqu’on sait que la lune a aussi un pouvoir d’attraction et provoque le phénomène des marées. Les hommes du temps jadis avaient également de grandes peurs, telle la peur de l’orage (ch’ l’hernu, disait-on en Picardie maritime). Quand le tonnerre grondait, il était imprudent de courir, de chanter et même de dire que le ciel était noir. Dans le Vimeu, on se réjouissait d’avoir un nid d’hirondelle à sa fenêtre, qu’on considérait comme le meilleur paratonnerre. On enviaitchés décatorneux d’hernus (les détourneurs d’orages) qui, disait-on, ne recevaient jamais la foudre. On rassurait les enfants en leur disant que c’était le bon Dieu qui jouait aux quilles ou que le Diable se battait avec sa femme. Et l’on prenait des précautions pour ne pas être foudroyé. Par exemple, on sonnait les cloches des églises. A Rouvroy (quartier sud d’Abbeville), on plaçait des pommes de terre au bout d’une gaule de pêcheur. A Quesnoy-sur-Airaines, on buvait une cuillerée de lait. A Noyelles-sur-Mer, on aspergeait les ouvertures de la maison avec de l’eau bénite. Et quand, après l’orage, apparaissait l’arc du temps ou arc Saint-Martin (l’arc-en-ciel), il fallait vérifier s’il avait le pied dans l’eau. Si c’était le cas, c’était encore de la pluie pour le lendemain. Ces croyances n’existent plus, mais les précautions à prendre demeurent nécessaires, surtout en rase campagne, en montagne, ainsi qu’au bord de l’eau. Ne les oublions pas, même si nous pensons que les orages ne sont plus aussi fréquents et violents qu’autrefois ! Les mystères du ciel ont toujours torturé l’esprit et l’imaginaire de nos concitoyens. Depuis des siècles, les marins de Saint-Valery ont constamment vu dans la voie lactée, ce très large champ céleste, le chemin que l’apôtre Saint-Jacques traça dans le ciel pour indiquer à l’empereur Charlemagne (IXe siècle) la direction à prendre pour se rendre en Espagne. Ils pensaient aussi que la constellation de la Grande Ourse (ou Grand Chariot) était le char de David, ce roi d’Israël du Xe siècle avant J-C, qui fonda Jérusalem et dont on parle dans la Bible, notamment pour son combat singulier avec le géant Goliath. Pour eux, Vénus était et est toujours l’étoile du berger, tandis le soleil était Colin et la lune la Belle. Depuis les temps les plus reculés, on a toujours remarqué dans le ciel des signes ou des objets inconnus, inexpliqués, qu’on a surnommés dès le milieu du XXe siècle des O.V.N.I (objets volants non identifiés). Les fameuses soucoupes volantes se manifestèrent pour la première fois en Picardie le 7 septembre 1945. A Pont-Rémy, on s’est longtemps demandé si les témoins de ces apparitions n’avaient pas été victimes d’hallucinations. Il y eut pendant plus de vingt-cinq ans d’autres apparitions en France et dans le Monde, dont d’extra-terrestres qu’on surnomma les petits hommes verts.
De nombreux livres furent écrits, en particulier celui d’un journaliste de la télévision, Jean-Claude Bouret. On pensa à d’autres civilisations plus avancées que la nôtre, dans le système solaire ou dans d’autres systèmes interstellaires encore plus lointains. Cet engouement favorisa d’ailleurs l’accélération de la conquête spatiale, à l’instigation du président de la république des U.S.A John Kennedy des années 1960, d’abord de notre satellite naturel la Lune qui eut lieu réellement en Juillet 1969, grâce au programme Apollo XI et aux deux astronautes américains Armstrong et Aldrin. Mais la déception fut grande car l’astre de nos nuits était absolument désertique, sans aucune trace de vie. Il en fut d’ailleurs de même dans les décennies suivantes pour les planètes Mars et Saturne : les petits hommes verts en étaient absents. Donc l’intérêt populaire retomba et l’on se révéla sceptique quant à l’existence d’une vie extra-terrestre. Jusqu’au jour de mars 2007, où l’on apprit que le CNRES (centre national d’études et de recherches scientifiques françaises) révélait que toutes ces apparitions célestes mystérieuses avaient été recensées, enregistrées sur Internet et que, si elles étaient un peu oubliées, il en revenait encore régulièrement. Et que, de plus, vingt-cinq pour cent de ces apparitions demeuraient inexpliquées. Cela pourrait relancer l’engouement de Français, notamment des Picards, pour ces phénomènes énigmatiques, mais ô combien exaltants. Par la même occasion, on risque aussi de voir des fantaisistes monter de toutes pièces des scénarios d’extra-terriens, comme ce fut le cas dans les années 1950 à 1970. Beaucoup de gens crédules risquent de s’y laisser prendre, quoique cela fasse partie du rêve. « Les rêves sont les clés pour sortir de nous-mêmes », affirmait le poète belge du XIXe siècle G. Rodenbach, dans son œuvre Le règne du silence. Quant à l’écrivain français Jean Cocteau, il disait en 1955 : « Plus je vieillis, plus je vois que ce qui ne s’évanouit pas, ce sont les rêves ». Pour se délasser de leurs travaux ingrats et fastidieux, ainsi qu’oublier leurs peurs et leurs ennuis, les hommes du temps jadis savaient aussi faire des farces et attrapes !Extrait de :
PICARDIE MARITIME INSOLITE
Gérard Devismes
14.5 x 20.5 cm - 254 pages Photos et dessins N/BVoir aussi : Histoires insolites de Picardie maritime, du même auteur
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