• Le Tréport et Mers-les-Bains en 1909 par un voyageur

     

    Au commencement du siècle et même au lendemain de la guerre 1870, Le Tréport, ne possédant pas de chemin de fer direct sur Paris, était un pauvre bourg assis dans un pli de ses collines ; ce Tréport primitif est aujourd’hui la vieille vielle, dont les rues montueuses ne manquent pas de caractère. L’église est portée sur une haute terrasse ; ses murs, en matériaux de grès ou de silex noir, alternant en dessins géométriques, sont intéressants ; l’intérieur, par la délicatesse de son ornementation, rappelle l’église d’Eu. Quelques vieilles maisons aux assises de silex, aux étages en bois sculpté, un curieux calvaire de grès orné de lettres et de fleurs de lys, puis, au milieu du carrefour central, les ruines des remparts, donnent assez de pittoresque à ces quartiers habités en partie par des marins et des pêcheurs dont le costume est caractéristique : tous portent de grands bas de laine fauve qui leur recouvrent complètement les jambes par-dessus les pantalons.

    La ville neuve borde la plage, elle a été bâtie sur l’énorme champ de galets et d’éboulis qui s’étendait entre la falaise et le chenal. Les rues sont tracées au cordeau. Les maisons, à front de mer, sont de luxueux chalets ; à mesure que l’on pénètre dans l’intérieur, elles changent de caractère ; la plupart se louent en appartements meublés pendant la saison. Contre la falaise, ce ne sont plus que des demeures basses, habitées par des pêcheurs; on trouve ces humbles maisonnettes jusque sur les débris de roches accumulés au pied de l’escarpement.

    La saison ne commencera guère qu’au 15 juillet, villas et hôtels sont clos, et cela est d’une tristesse infinie. L’architecture fantaisiste des plages et des villes d’eau a besoin de vie, de fenêtres ouvertes au grand soleil. A cette heure, on a comme la sensation de gîtes à araignées ; l’impression est rendue plus vive par les loueurs d’appartements, qui fondent sur vous avec le bail sur la gorge.

    Le Tréport et Mers-les-Bains en 1909 par un voyageur

    Le Tréport, grâce à sa proximité de Paris — 192 kilomètres seulement, — a vu arriver une foule si dense que l’on trouverait malaisément un coin de terrain à proximité de la mer ; les constructeurs se sont rejetés sur le pauvre village de Mers, de l’autre côté du port, dans le département de la Somme. Ce hameau avait 400 habitants, pêcheurs pour la plupart, habitant des chaumières sur la pente d’une colline. Entre les maisons et la mer, s’étendait le bourrelet de galets ; entre elles et la Bresle, de grandes prairies. La spéculation s’est emparée des cailloux, elle y a tracé un quai et des rues, une ville luxueuse est née comme d’un coup de baguette, ville de fantaisie avec ses chalets de brique, de pierre ou de silex, surmontés de combles élevés et festonnés, ses balcons, ses loggias, ses galeries. L’espace étant mesuré, on n’a pu créer des jardins. Et l’on éprouve l’impression d’un musée de constructions originales et amusantes. Pour compléter l’illusion, il manque un toit vitré enchâssant la ville de Mers.

    La tonalité est plutôt sombre, la brique fauve, la couleur brune des charpentes apparentes, les toits d’ardoises auraient besoin d’être relevés par quelques détails blancs ou polychromes. Les derniers chalets construits montrent un changement dans ce sens ; mais on n’en édifiera bientôt plus, sinon dans la prairie où, déjà, des rues se dessinent bordées de maisons plus modestes. Tout est mort, maintenant ; presque tous les hôtels sont clos et les boutiques fort peu achalandées ; beaucoup ouvriront en juillet seulement.

    Lorsque les terrains voisins de la mer seront recouverts de maisons, on reviendra sans doute à l’idée grandiose, mais trop hâtive, qui avait fait rêver de créer une cité aérienne au sommet des falaises, sur le plateau du mont Huon, à 100 mètres au-dessus du flot. Une société a acheté tout le terrain, a construit des routes, esquissé le parapet d’une terrasse à la marge même de l’abîme ; un escalier de près de quatre cents marches y donne l’accès; d’autres escaliers montent du vallon.

    Jusqu’ici, le mont Huon est resté désert, aucune villa ne s’y est construite, les rues bordées de trottoirs sont envahies par l’herbe, le parapet de la terrasse s’éboule, les marches d’escaliers, disjointes, se couvrent de débris apportés par le vent et les pluies. C’est dommage, une telle ville eût été féerique. Peut-être, si l’on avait cherché à faire monter des eaux de source et surtout à construire un funiculaire permettant d’atteindre le mont Huon sans fatigue, le succès eût été tout autre. Mais allez donc demander à des baigneurs de gravir quatre cents marches en plein soleil pour se rendre trois ou quatre fois par jour de la plage à leur logis.

    Je suis monté tout à l’heure sur ces falaises dentelées, teintes de roux et de vert, enveloppées par des vols de corneilles, et j’en reviens ébloui. Assis au pied du calcaire élevé au bord même de l’escarpement, on domine toute la ville et d’immenses étendues de mer. Au-dessous de l’àpic s’étend le quartier du Casino, avec ses voies régulières, aux maisons de briques coiffées d’ardoises. Le vieux Tréport se blottit dans son ravin, sous l’église ; le port, en ce moment rempli par la haute mer, est couvert de voiles.


    Ardouin Dumazet Extrait de : Voyage en France

     

     Extrait de :

    Villes & Villages  LE TREPORT & MERS-LES-BAINS
     
    À LA BELLE ÉPOQUE
      
        Jules Périn et Paul Cagé
     
     
      14.5 x 20.5 cm - 98 pages - Cartes postales anciennes.
     

     

     

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