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La protection des oiseaux en 1923
En d’autres temps, d’autres problèmes et d’autres remèdes... Ainsi, en 1923, déjà sous l’égide de la L.P.O. les agents des Eaux et Forêts étaient invités à sensibiliser la population à la protection des oiseaux.
En ce temps là, c’était surtout le braconnage, la chasse et la mode que l’oiseau devait redouter, ainsi que les premiers épisodes de « notre progrès » qui leur cause aujourd’hui bien des soucis.
Voici le contenu d’un courrier adressé à un agent forestier de la Somme à une époque où l’oiseau était, il semble, plus utile à l’homme que de nos jours.C'était pour orner le chapeau de ces dames que bien des oiseaux perdaient la vie...
Monsieur,
Vous trouverez ci-joint une brochure illustrée que nous venons de faire imprimer et qui est consacrée aux causes de la disparition des oiseaux et aux remèdes qu’il convient d’apporter à cette situation. Cette brochure contient non seulement matière à des conversations avec les personnes qui s’intéressent à l’Oiseau, mais également une documentation pouvant servir à des causeries plus étendues, à une véritable petite Conférence même.
Par votre situation, vous pouvez beaucoup pour faire entrer dans le public cette idée de l’utilité de l’Oiseau. Si l’instituteur s’adresse aux enfants pour obtenir d’eux le respect de la vie et particulièrement de l’Oiseau, les Agents de l’Administration ont affaire à des hommes mûrs qui n’ignorent pas tout à fait leurs véritables intérêts, mais qui les négligent trop souvent par indifférence ou veulerie. Vous leur rappellerez – avec arguments à l’appui – que c’est en quelque sorte manger son blé en herbe que de détruire les oiseaux et vous chercherez à les convaincre que sans oiseaux, la terre ne tarderait pas à devenir la proie d’une quantité formidable d’insectes, détruisant fruits et récoltes, incommodant l’humanité toute entière.
Mais votre rôle est double. Si vous n’arrivez pas à convaincre, vous pouvez intimider. Vous êtes chargé de constater des infractions et des délits et d’en poursuivre l’application.
Or, nous avons tout un arsenal de lois et de règlements, de décrets et d’arrêtés qui suffiraient pour assurer la protection efficace de l’Oiseau. Mais nous ne nous en servons pas ou nous nous en servons mal, de sorte que sous les yeux des pouvoirs publics, et en quelque sorte avec leur permission tacite, peuvent se pratiquer, dans des proportions incroyables, de véritables massacres d’oiseaux.
Vous n’ignorez pas que partout, en toute saison, on tiraille sur eux de tous côtés et que le nombre de gens sans permis ou d’enfants munis de carabines qui se livrent à cette chasse clandestine est considérable.
Vous n’ignorez pas que les gluaux, les lacets, les filets de toute espèce sont employés pour prendre les oiseaux ; et nous vous assurons que les nouvelles reçues par nous au printemps de 1923 montrent que certaines régions du Midi ont été monstrueusement inclémentes à nos petits auxiliaires. De la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne, des Alpes-Maritimes et du Var notamment, nous arrivent des lettres navrantes. Il est impossible d’évaluer le nombre de milliers d’oiseaux qui ont été sacrifiés en pure perte et qui continueraient de l’être sans votre vigilance.
D’autre part sévit également le dénichage, pratiqué non seulement dans les campagnes, mais dans les bois soumis à votre surveillance. Les bûcherons sédentaires ou passagers qui travaillent dans les taillis, les sabotiers, leurs femmes et leurs enfants, les riverains mêmes ont une tendance trop marquée à croire que tout ce qui pousse ou vit dans les bois est bon à prendre ; aussi n’épargnent-ils ni les œufs, ni les petits. Ils possèdent souvent des chiens dont les dépradations sont importantes. Vous porterez donc vigilance de ce côté.
De quelles armes disposez-vous ? Surtout de deux lois et d’un arrêté.
La première de ces lois est la Convention internationale pour la Protection des Oiseaux utiles à l’Agriculture, approuvée par les Chambres et rendue exécutoire par le Décret du 12 décembre 1905. L’article II défend d’enlever les nids et de détruire les couvées comme aussi l’importation, le transit, le colportage, la mise en vente, la vente et l’achat des nids et des œufs. L’article III prohibe l’emploi des pièges, cages, filets, lacets, gluaux et de tous moyens quelconques ayant pour objet de faciliter la capture ou la destruction en masse des oiseaux.
La seconde loi est la Loi sur la Police de la Chasse, du 3 mai 1844, complétée notamment par la loi du 3 avril 1911, qui s’exprime ainsi :
ART. 4. - Il est interdit, en temps de fermeture, d’enlever les nids, de prendre ou de détruire, de colporter ou de mettre en vente, de vendre ou d’acheter, de transporter ou d’exporter les œufs ou les couvées des perdrix, faisans, cailles et de tous autres oiseaux, ainsi que les portées ou petits de tous les animaux qui n’auraient pas été déclarés nuisibles par les arrêtés préfectoraux. Les détenteurs du droit de chasse et leurs préposés auront le droit de recueillir pour les faire couver les œufs mis à découvert par la fauchaison et l’enlèvement des récoltes.
ART. 11. - Seront punis d’une amende de 16 à 100 francs :
Ceux qui auront contrevenu aux arrêtés des préfets autres oiseaux, ainsi que les portées ou petits de tous les animaux qui n’auraient pas été déclarés nuisibles
par les arrêtés préfectoraux. Les détenteurs du droit de chasse et leurs préposés auront le droit de recueillir pour les faire couver les œufs mis à découvert par la fauchaison et l’enlèvement des récoltes.
ART. 11. - Seront punis d’une amende de 16 à 100 francs :
Ceux qui auront contrevenu aux arrêtés des préfets concernant les oiseaux de passage, le gibier d’eau, la chasse en temps de neige, l’emploi des chiens lévriers et aux arrêtés concernant la destruction des oiseaux et celle des animaux nuisibles et malfaisants.
Ceux qui, en temps de fermeture, auront, sans droit, enlevé des nids, pris ou détruit, colporté ou mis en vente, vendu ou acheté, transporté ou exporté les œufs ou les couvées de perdrix, faisans, cailles et de tous les oiseaux...
ART. 12. - Sont punis d’une amende de 50 à 200 francs et pourront en outre l’être d’un emprisonnement de six jours à deux mois :
Ceux qui auront chassé pendant la nuit ou à l’aide d’engins ou d’instruments prohibés ou par d’autres moyens que ceux autorisés à l’article 9 ;
Ceux qui seront détenteurs ou qui seront trouvés munis ou porteurs hors de leur domicile, de filets, engins ou autres instruments de chasse prohibés ;
Ceux qui auront employé des drogues ou des appâts qui sont de nature à enivrer le gibier et à le détruire ;
Ceux qui auront chassé avec appeaux, appelants ou chanterelles. Les peines déterminées par le présent article pourront être portées au double contre ceux qui auront chassé pendant la nuit sur le terrain d’autrui et par l’un des moyens spécifiés au paragraphe 2, si les chasseurs étaient munis d’une arme apparente ou cachée.
Une troisième arme est à votre disposition : c’est l’arrêté préfectoral pris chaque année en conformité des lois et concernant la chasse dans le département.
Afin d’encourager les Agents dans la répression des contraventions, la Ligue Française pour la Protection des Oiseaux leur offre des primes dont voici le détail :
– Primes de 10 fr., Délit commis le jour (dénichage) ;
– Primes de 20 fr., Colportage ou mise en vente d’œufs et d’oiseaux (concours de pinsons) ;
– Primes de 30 fr., Destruction d’oiseaux par engins prohibés, le jour ;
– Primes de 50 fr., Destruction de nuit par engins prohibés.
La ligue se réserve le droit de décerner une prime exceptionnelle de 100 fr. aux Agents qui auraient relevé des délits graves. Les primes sont acquises dès qu’il y a condamnation, en assimilant bien entendu la transaction faite par l’Administration des Eaux et Forêts à une condamnation.
Pour les Agents qui ne peuvent ou qui ne veulent pas recevoir une prime en argent, la Ligue a créé toute une série de primes en nature de valeur équivalente dont la liste pourra être envoyée sur demande aux intéressés.
Nous espérons instamment, Monsieur, que vous voudrez bien lire la brochure jointe à cette lettre et en répandre les suggestions autour de vous. En contribuant à sauver du massacre les oiseaux utiles, vous aurez la satisfaction d’avoir participé à une œuvre nationale au premier chef.
Le Président de la Ligue Française pour la Protection des Oiseaux, J. DELACOUR.
(texte adressé par Jacques Lengagne, ancien garde forestier)
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