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L'Hôtel de Ville et le Beffroi d'Amiens
La place Gambetta est le point de départ des tramways qui desservent les différents quartiers, aussi est-elle assez animée. L’horloge qui la décore a été placée en exécution d’un vœu exprimé par M. Dewailly, ancien maire, et grâce au legs de 25 000 francs qu’il a fait dans ce but. Le piédestal en pierre de cette horloge est de jolie forme ; il a été exécuté d’après les dessins de M. Riquier, architecte.
De la place Gambetta à l’hôtel de ville, nous n’avons qu’une courte distance à franchir.
(dessin de F. Hoffbauer).
Le monument municipal où fut signée la paix d’Amiens a été à peu près entièrement reconstruit au cours de ce siècle. En dernier lieu, il a été complété et amené à l’état actuel par M. Leullier, architecte. A travers la grille qui ferme sa vaste cour, on embrasse parfaitement tout l’ensemble de l’édifice ; le corps de logis central, élevé sur perron et orné d’une galerie décorée de statues, est flanqué de bâtiments en retour terminés par de gros pavillons formant avant-corps et renfermant divers services.
A l’intérieur, nous verrons d’abord une galerie aux murs garnis de plaques de marbre portant les noms de tous les mayeurs et maires de la ville, depuis Bernard, qui fut premier mayeur en 1140, jusqu’à M. Decais-Matifas, maire depuis le 26 mai 1895, en passant par de Herte nommé par le roi en 1622, dont le corps de ville ne reconnut pas l’autorité, parce qu’il n’était pas né à Amiens ; par Claude Péroul qui, placé par les Espagnols, exerça ses fonctions du 11 mars au 25 septembre 1597 ; par Pierre Danyens, qui fut conseiller de ville de 1733 à 1737 ; par Dewailly, qui fut maire en 1874, etc. Ces inscriptions, on le voit, forment en quelque sorte les archives municipales de la ville et sont de précieux documents pour son histoire. La salle des mariages est ornée de belles boiseries du dix-huitième siècle ; celle du conseil, vaste rectangle avec estrade, est élégamment boisée aussi et décorée des armes de la ville : de gueules, à un alisier d’argent entrelacé en cercle, au chef de France. Dans l’ancienne salle du tribunal de commerce, convertie aujourd’hui en salle de réunions, on conserve les portraits de plusieurs anciens officiers municipaux. Le plus remarquable de ces tableaux est le portrait de Morgan de Bellay, qui fut maire en 1778. L’hôtel de ville possédait autrefois plusieurs tableaux de grands maîtres ; ils ont été transportés au musée de Picardie. Nous vous avons dit que les pavillons formant avant-corps renfermaient divers services ; dans l’un d’eux, celui de l’est, est établi le bureau de police ; c’est là qu’il faut vous présenter, si vous voulez obtenir la permission (toujours gracieusement accordée) de visiter le beffroi. Ce bureau présente une particularité qu’il serait regrettable de ne pas signaler. Le violon sordide de nos postes parisiens est remplacé ici par une sorte de grande cage grillée sur le devant et que de solides cloisons divisent en compartiments ; c’est là qu’on enferme, nous a dit en riant le brigadier,ceux qui ne sont pas sages ; leur isolement les préserve des mauvais tours qui se jouent dans nos geôles, et grâce à la façade grillée, ils demeurent placés sous une surveillance constante et ne peuvent ni se battre entre eux, ni se suicider. Le poste d’Amiens donne aux lieux similaires de la capitale un exempte qui, selon nous, serait bon à suivre.
Muni du petit papier qui nous ouvrira la porte du beffroi, nous nous acheminons vers lui. En passant, nous ne manquons pas de remarquer l’hôtel des postes, construit en pierre et brique de belle apparence au dehors et fort bien agencé à l’intérieur. Avant de visiter le beffroi dont la lourde masse occupe le fond de la place au Fil, nous allons dire quelques mots de ces constructions qui sont parfois les plus curieuses de nos villes du Nord. Le beffroi, belfroi, berfroi, en vieux français, belfredus, en basse latinité, était originairement une tour en bois à plusieurs étages, recouverte de cuir de bœuf ou de cheval, montée sur roues, et que l’on employait dans les sièges. César, dans ses Commentaires, parle d’une de ces tours dont il se servit contre une place défendue par les Nerviens, peuplade dont descendent les habitants de Cambrai. Plus tard, construit dans les cités et les dominant, le beffroi devint en quelque sorte le symbole de leur affranchissement ; en regard des puissantes forteresses féodales, les villes élevèrent ces tours d’où l’on pouvait dominer les cités et leurs environs et dont la cloche (la bancloque, cloche à ban) sonnait pour convoquer les bourgeois et les municipalités à leurs assemblées, annonçait l’heure où devaient commencer les travaux, donnait le signal du couvre-feu et jetait dans l’air les notes plaintives du tocsin aux heures de danger. « On déployait, dit Viollet-le-Duc en parlant des beffrois, un certain luxe à ces constructions, hautes, ornées de grandes lucarnes surveillant les quatre points cardinaux. Enjolivés de clochetons et d’aiguilles, ils se voyaient de loin et témoignaient de la richesse de la commune qui les avaient élevés.» A partir du quatorzième siècle, les beffrois s’ornèrent de cadrans d'horloge et, plus tard, s'enrichirent de ces carillons dont quelques-uns sont devenus célèbres. Le beffroi d’Amiens a été plusieurs fois remanié depuis sa construction. La plus ancienne partie - elle paraît remonter au quatorzième ou au quinzième siècle - est la puissante tour carrée qui sert de base à l’édifice ; elle est terminée par une terrasse entourée d’une galerie ; du centre de cette terrasse s’élève un haut lanternon de forme bizarre, au sommet duquel un ange doré sonne de la trompette ; près de la porte, qui se trouve dans une petite rue sur le flanc du monument, une statue de la Vierge s’abrite sous un dais.
Tout en montant vers la galerie, le gardien nous fait remarquer plusieurs cachots qui semblent pratiqués dans l’épaisseur des murs et sont, paraît-il, encore habités de temps à autre. De la terrasse, on a une vue superbe sur la ville entière ; si l’on se déplace, le panorama se modifie, ce qui rend ici le séjour agréable et invite à le prolonger. D’un côté, notre regard plonge sur tout l’immense vaisseau de la cathédrale dont le soleil argente les toits gris tachés d’ombres noires, dentelées par les pinacles et les fleurons. Près d’elle, à droite, on voit le Palais de justice, son fronton central, ses pavillons extrêmes. Au nord, au-delà de la ville basse et de ses canaux, après un entassement de toits rouges et de cheminées noires, les combles et la tour de l’église Saint-Pierre se découpent sur l’horizon. Plus loin, on aperçoit l’asile Saint-Victor, fondé par M. de Beauvillé, et où l’on traite les aveugles. Si nous nous retournons vers l’ouest, l’église Saint-Jacques nous apparaît dominant l’îlot rectangulaire de maisons basses que bornent au nord le port d’Aval, à l’ouest les boulevards du Port et Saint-Jacques, au midi la rue Frédéric-Petit et, devant nous, la rue Saint-Jacques. Derrière l’église, une vaste trouée se dessine : c’est le Marché aux chevaux. Plus loin, le tableau s’emplit, d’un côté des verdeurs de la promenade de la Hotoie, de l’autre les yeux plongent dans le long faubourg de Hem ou se reposent sur la coulée de la Somme que domine la grosse tour de l’église Saint-Maurice. Si nous ramenons nos regards vers les premiers plans, nous voyons se dresser la tour de Saint-Germain ; si nous les reportons plus loin, vers le nord, nous apercevons la citadelle ; si nous fouillons l’horizon, nous découvrons le grand et magnifique cimetière de la Madeleine et la riche campagne qui environne Amiens. A l’est, nous dominons tout le faubourg de Noyon, avec la gare fumeuse à son entrée. Au midi, la route de Paris trace sa ligne blanche à travers le faubourg de Beauvais que le champ de courses borne à droite. Cette vue magnifique est le principal attrait du beffroi ; il va sans dire qu’elle s’élargit quand on monte au-dessus de la galerie dans le campanile où l’on montre avec orgueil la cloche qui pèse 11 000 kilogrammes.Extrait de :
UNE VISITE À AMIENS EN 1896
Alexis Martin
21 x 15 cm - 128 pages - nombreuses illustrations et cartes postales anciennesVous aimez nos lectures, abonnez-vous à notre Lettre d'infos...
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