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L'évasion rocambolesque de Napoléon III du fort de Ham
Louis-Napoléon avait coupé sa barbe, il chausse de gros sabots, passe une chemise grossière, un pantalon de toile bleue, une roulière par dessus sa redingote, par dessus une blouse encore ; sous une perruque noire et une casquette sale il cache ses cheveux blonds, il rougit son visage pâle et, détachant par une idée superstitieuse la plancha N de la petite bibliothèque, il la met sur son épaule dans l’intention de cacher son visage. Dans sa poche il glisse un poignard et deux lettres, deux talismans, une de sa mère, la reine Hortense, l’autre de son oncle, l’empereur.
Charles Thélin qui avait l’autorisation de se rendre à Saint-Quentin, remonte au premier étage, jette un manteau de voyage sur son bras, prend en laisse le petit chien du prince, Ham, et descend l’escalier. Il rencontre le maître-peintre qui barrait le passage en badigeonnant le mur, il l’engage à aller surveiller ses ouvriers.
Le prince suit son fidèle serviteur, mais aussitôt sorti de sa chambre il se trouve en face d’un ouvrier serrurier et il s’arrête ; le docteur Conneau l’encourage d’un mot prononcé à voix basse et le pousse assez brusquement dans l’escalier.
Entre temps Thélin prenait à part l’un des gardiens de service et, tout en lui faisant part de la maladie du prince, il réussissait à lui faire tourner le dos au passage. Au bas de l’escalier se trouvait le second gardien Dupin ; il se recule pour éviter une planche qu’un maçon dirige vers sa figure. Le faux maçon passe devant lui et derrière son camarade Issali, avec qui Thélin causait toujours, et le voilà dans la cour du fort.
Il la traverse sous les yeux du lieutenant de garde et, laissant tomber la pipe qu’il tenait entre les dents, il se baisse pour en ramasser les morceaux. Arrivé devant le corps de garde, il prononce ce seul mot : « Porte ! » d’une voix assez rude ; la sentinelle hésite, mais cependant ouvre la grille sans difficulté.
Le garde du génie, M. Flajollot, examinait avec l’entrepreneur un mémoire quand le prince vint à passer sur le pont-levis ; la voie étant étroite il heurta M. Flajollot qui se retourna et fit à haute voix une remarque sur la tournure singulière de cet ouvrier mal appris. Plus loin, deux menuisiers arrivaient, le faux-maçon changea sa planche d’épaule et passa rapidement ; l’un des menuisiers allait interpeller ce compagnon qu’il ne connaissait pas, mais il s’écria tout à coup : Ah ! c’est Berthoud !
M. Thélin avait quitté le gardien Issali et suivait à vingt-cinq pas, retenant le petit chien Ham qui, voyant son maître en avant, tirait sa laisse à s’étrangler.
Thélin s’étant assuré que la direction pris par le prince était la bonne alla chercher le cabriolet retenu par lui, la veille, chez le loueur Fontaine.
Aussitôt sorti du fort, grâce à un plan de Ham qu’il avait sur lui, le faux maçon tourna à gauche et suivit le rempart jusqu’à la porte Saint-Quentin ; il enfila le faubourg Saint-Sulpice, mais arrivé à l’angle des routes de Péronne et de Saint-Quentin, il s’arrêta embarrassé. Avisant une petite fille de quatorze ans qui ne pouvait avoir de soupçons, il lui demanda quelle était la route de Saint-Quentin « Suivez le pavé », répondit la petite. Arrivé au chemin de Villers le prince, inquiet ou fatigué, s’assit sur le revers d’un fossé et attendit. Enfin le cabriolet arriva; Louis-Napoléon laissa là sa planche, sauta en voiture, prit les rênes et fit faire au cheval de louage près de 20 kilomètres en 55 minutes. A Roupy, il s’était débarrassé de son déguisement qu’un cantonnier ramassa mais dont il ne fit pas profit, car le tribunal de Péronne réclama, comme pièces à conviction, aussi bien la planche que les habits.
A Saint-Quentin, le prince gagna les devants à pied, sur la route de Cambrai, pendant que Thélin, se rendant chez Abric faisait atteler, et non sans peine, car il ne restait plus qu’une voiture dans la remise. Il rejoignit son maître, que l’impatience commençait à gagner. Le cocher à qui le valet de chambre avait promis de bonnes guides lança ses chevaux au grand trot dans la direction de Valenciennes. Là, le prince prit le train de Bruxelles et le lendemain à deux heures il s’embarquait à Ostende et passait en Angleterre.
Extrait de :
HISTOIRE POPULAIRE DE HAM
Elie Fleury et Ernest Danicourt
15 x 21 cm - 112 pages - Illustrations - cartes postales anciennes - plans
Pour en savoir plus sur ce livre...« Le tissage de la laine et la bonneterie du Santerre vers 1900Balade botanique sur le littoral picard »
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