• Cidre de ferme

    Deux hommes s’arc-boutent de toutes leurs forces sur les barres du pressoir. Le fort écrou à trois yeux qu’ils tournent, enfonce, pas à pas, le couvercle raidi dans le marc de pommes. Il fait chaud malgré la fraîcheur du mois d’octobre. Un jus brun, recueilli dans des seaux et transporté rapidement dans les tonneaux de la cave, s’écoule de plus en plus lentement des claires-voies du pressoir.  
    Aux premières gelées, le pressoir en bois, avec un hachoir et des cuveaux, avaient été installés dans l’entrée de la ferme. Les pommes, par tombereaux, s’y amoncelaient puis macéraient après avoir été tranchées en épaisses rondelles.

     


    Les pommes, les unes douces, les autres petites, dures et acides, se ramassaient dans les pâtures, autour des fermes, plantées, tout exprès, de pommiers en rangs serrés. Elles s’allongeaient, dès la fin de l’été, en longs tas trapus qui, de loin, apparaissaient de couleur rouge ou verte ou de teinte intermédiaire selon la couleur des derniers seaux de fruits versés. En s’approchant, les teintes se distinguaient et la multitude des couleurs brillantes, du vert acide au rouge foncé, apparaissait. Le mélange des variétés faisait le bon cidre.  
    Pendant quelques semaines le jus de pomme fermentait, décantait, une mousse légère, brune puis blanche, s’échappait de la bonde ouverte. Quand la fermentation était suffisante une partie du cidre plus ou moins coupé d’eau, était mise en bouteille tandis que l’autre était réservée pour la boisson de tous les jours et pour la fabrication de l’alcool. Le cidre conservé en tonneaux, devenait quand l’année s’avançait, de plus en plus dur et de plus en plus acide. On n’en buvait jamais en dehors des repas, et encore moins aux champs, à cause des brûlures d’estomac qu’il n’aurait pas manqué de donner.
    Une fois par an, un alambic noir et ancien s’installait sur la place du village. Chacun y apportait son cidre pour le distiller. L’alcool à 90°, brûlant à la sortie de la machine, était imbuvable, mais les paysans le gouttaient malgré tout. Ce produit était dangereux pour preuve : les fuites de la machine laissaient des tâches noires d’herbes brûlées qui ne disparaissaient que des mois après. Il fallait « couper » d’eau l’alcool pour en faire l’indispensable eau de vie.

     

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