• Au paradis avec les oiseaux

    « Comment espérer des oiseaux qu’ils chantent si leurs bocages sont abattus ? »
    Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois.

     

    De l’avis de nos ancêtres, les oiseaux sont de plus en plus rares. Marius Devismes, patoisant picard et cressonnier en basse-vallée de Somme, qui vécut proche de la nature, sut aimer et protéger ces compagnons souvent sensibles, intelligents et drôles.
    Ecoutons sa leçon : il y est question de petits “êtres” essentiels à nos sens avec leurs chants, leurs couleurs, leurs mœurs et leurs facultés à vivre libres ; puis à notre tour, aidons les oiseaux à survivre, nul doute qu’aujourd’hui
    comme hier, ils nous « récompenseront au centuple ».

     

    Au paradis avec les oiseaux

    Le rouge-gorge : On l’appelle Marie Foéron, Foérouille ou Foéreuse. Chacun sait que c’est un grand ami des hommes. L’hiver, il nous suivait dans les cressonnières, tantôt sur les planches à couper, tantôt sur la brouette de la femme qui ramassait les bottes. Il y en avait un qui entrait pour manger avec nous dans la baraque. Il picorait les miettes de pain autour du poêle.

    Les roitelets : Voici deux petites histoires de roitelets (Titcheux ou Rouspéteux comme nous les appelions).
    A chacune de mes cressonnières, il y en avait dans les baraques et aux alentours. Leur nid était facile à découvrir. Quand on s’en approchait, ils faisaient des tic-tic à n’en plus finir.
    Un jour, dans ma cressonnière de Cambron, un ouvrier nommé Granger avait accroché sa veste de pluie à un clou. Le matin, comme il se met à pleuvoir, il va la prendre et se met au travail. Une paire de minutes s’écoulent et je l’entends qui s’écrie : « Ben zut ! Eh bien, ça alors ! Un roitelet vient de sortir de ma poche ! » Il passe sa main à l’intérieur et s’exclame : « Un nid ! Il couve ! Qu’est-ce que je fais ? » Je lui réponds : « Remets la veste où elle était et prends-en une autre ».
    Un quart d’heure plus tard, l’oiseau couvait à nouveau ses œufs.
    Une autre fois, dans une autre cressonnière, à peu près le même événement… mais nous nous en sommes aperçus à temps. Le nid était placé dans la doublure du dos. Une manche du vêtement en cachait le trou. Nous étions obligés de la relever chaque fois que nous voulions voir couver la petite bête. Si nous ne l’apercevions pas, nous passions le doigt dans le trou pour savoir s’il était bien au nid. Il ne bougeait pas de place, comme s’il sentait que nous ne lui voulions pas de mal.

    Bergeronnettes et coucous : Une fois, j’ai découvert une drôle d’affaire : un voyou de coucou avait pondu son œuf dans le nid d’une bergeronnette et l’œuf a éclos. Le sacré coucou n’était pas très sociable. Mauvais comme une teigne, il soufflait comme un coq mal pris, quand on l’approchait. Lorsqu’il s’est emplumé, ses parents sont venus le chercher et je ne l’ai plus revu.
    Cela crève le cœur de voir des petits oiseaux donner la becquée à un grand benêt comme le coucou. Bien entendu, je n’aurais pas voulu le tuer car la nature y trouve son équilibre. Ce n’est pas de la faute des coucous s’ils ne peuvent pas nourrir leurs petits, c’est parce qu’ils mangent beaucoup de chenilles dont les poils s’accrochent dans leur gosier. Les père et mère peuvent avaler les poils, mais pas les jeunes qui s’en étouffent. Ah ! mes gentilles bergeronnettes, que je vous adore ! Quel grand amour vous avez pour vos bébés !

    Pinsons - Histoire de Titi : J’ai eu, parmi eux aussi, de bons amis. Ecoutez l’histoire de Titi ! Je l’aimais comme un enfant. Il rentrait volontiers dans notre maison. Si la porte était fermée, il menait un train d’enfer pour qu’on lui ouvre. C’était un pinson des Ardennes. Il nous quittait tous les hivers pour aller je ne sais où, et nous le revoyions au bon temps. La deuxième année de notre rencontre, un matin alors que j’étais encore au lit, je susurre à ma femme : « Ecoute ! Voilà notre Titi revenu ! » Elle répond : « T’es pas fou ! Tous les oiseaux se ressemblent. » Je rétorque : « C’est mon Titi, je reconnais sa chanson. » Vite, je me lève et j’ouvre la porte. Mon Titi était là, sur le seuil, la tête de travers, l’œil fixé sur moi, qui semblait dire : « C’est bien moi ! Tu ne me reconnais pas ? » Tout de suite, je lui ai donné un peu de pain trempé dans du lait. Sa femelle venait aussi, mais elle était plus sauvage. Quand ils avaient leur nichée, le Titi faisait la navette de son nid à notre maison, il appelait jusqu’à ce que je lui donne de quoi nourrir ses petits. Nous avons eu sa visite pendant quatre ans. Et puis un jour, il est revenu avec une patte cassée. Chaque fois qu’il se posait à terre, il tombait. Deux ou trois jours plus tard, on ne l’a plus revu. J’ai appris que c’était un vaurien qui lui avait donné un coup de fronde. Et puis un coq a dû le dévorer. Pauvre Titi ! Que de chagrin on a eu de ta disparition !

    Au paradis avec les oiseaux


    Hirondelles : A cette époque-là, parmi les hirondelles qui bâtissaient leurs nids à la maison, j’avais un bon camarade : un mâle.
    Nous étions matinaux tous les deux. Je me levais à quatre heures du matin, pour ravitailler mes clients. Aussitôt qu’il m’entendait, il venait tourniquer autour de moi. Curieux, il entrait de temps en temps dans notre maison. Je le reconnaissais entre toutes les hirondelles qui venaient se balader dans notre cour. Il couchait dans mon garage. Vers la fin de l’après-midi, il allait voir si tout le monde était rentré. Il faisait partie de la famille. Mais comme tout a une fin, nous ne l’avons plus revu, notre beau mâle d’hirondelle. Je garde un si bon souvenir de lui que, quand les demoiselles nous reviennent au printemps et que j’entends leur charabia dans la cour, je suis l’être le plus heureux du monde.

    Linots, verdiers, pouillots, verlinots : Un oiseau malin et bon camarade, c’est le linot. Les cressonnières, ce sont leur garde-manger et ils n’oublient pas d’y bâtir leurs nids : parfois cinq ou six sur une dizaine de mètres carrés d’osier. Quand nos fosses à graines commençaient à mûrir, quel régal pour eux ! Il faut dire aussi que, quand nous semions le cresson, ils en ramassaient une bonne part. S’ils faisaient un peu de dégât, ils me donnaient en échange d’agréables récompenses : d’abord leurs charmantes chansons et surtout le spectacle de la couvaison dans d’admirables nids.
    Verlinots, verdiers ou pouillots, pour moi ce sont les mêmes oiseaux. Le verlinot (verdier de son vrai nom) est un merveilleux siffleur. Mon fils me ressemble ; il aime les oiseaux. Il a élevé deux des verlinots tombés du nid. Il les a laissés en liberté dans sa maison. Un an plus tard, le premier s’est laissé dévorer par un coq en suivant mon fils au jardin. Le deuxième dormait dans une pochette de calendrier à la maison. Mais il allait là où il voulait, dans les autres pièces : c’était sa maison à lui. Il préférait le beurre au pain. Un jour de printemps, il a pris son envol pour rechercher une compagne. Deux ans plus tard, un matin alors que personne ne pensait plus à lui, ma belle-fille qui est institutrice est partie à l’école en laissant sa porte ouverte. A la récréation, elle a eu une surprise : le verdier était revenu, il passait l’inspection de la maison avec sa femelle.
    Elle, elle s’est sauvée, mais lui s’en est allé dans la cuisine, afin de voir si rien n’avait changé et il s’est posé aux mêmes endroits qu’auparavant… Après deux ans d’absence, il avait retrouvé ses habitudes.

    Où sont partis les oiseaux disparus ?
    J’ai le cœur gros de ne plus les rencontrer sur mon chemin. Pour ce qui me concerne ce n’est rien car je suis vieux, mais pour les jeunes je ne vois pas l’avenir en rose, avec ce progrès qui cause tant de tort. Vous imaginez les arbres sans oiseaux ? J’ai bénéficié d’une vie heureuse à leurs côtés. Si j’ai dépensé un peu en achats de mangeaille pour les nourrir, j’ai été payé au centuple par leurs chansons. Je vous dis merci du fond du cœur, mes amis les oiseaux ! Alors quand je mourrai, priez votre Bon Dieu pour que je sois avec vous… dans votre Paradis.

    Marius Devismes

    Extraits de :

     

    notre village au temps jadis picardie maritime NOTRE VILLAGE AU TEMPS JADIS
      Vie quotidienne, activités, traditions,
     nature et histoire en PICARDIE MARITIME

    Gérard Devismes

    14 x 21 cm - 140 pages - Cartes postales anciennes.
     

     

     

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