• Scène de chasse aux phoques vers 1895 au Hourdel

     

    Quand cette chasse était hélas pratiquée en Baie de Somme !

     

    La mer, en effet, laissait à découvert, en ce moment, comme à chaque marée basse, les vastes langues de sables qui constituent, dans ces parages, de véritables écueils et que l’on désigne, en raison de l’apport qui en est fait par le courant du fleuve, sous le nom de Bancs de Somme.
    C’est sur ces bancs qu’à l’époque où nous nous reportons, un vrai troupeau de phoques venait, à la marée descendante, atterrir et faire une sorte de sieste, qui durait le plus souvent jusqu’au retour du flot.
    C’est aussi à ce moment, que, bien des fois déjà, d’habiles chasseurs avaient tenté de les surprendre, pour porter plus tard, en manière de trophée, un carnier fait de la peau de leur victime.
    Mais, hâtons-nous de le dire, il n’est pas d’animal plus défiant, il n’en est surtout pas de mieux doué comme œil et comme oreille.
    Au moindre bruit, à la moindre apparition suspecte, le phoque échoué sur le sable se recourbe immédiatement en arc et, en quelques bonds, replonge dans la mer.
    M. de Kergolen, pour en avoir entendu parler par des chasseurs experts, était au courant des mœurs de cet amphibie.
    Aussi, avant de partir, fit-il à ses compagnons de chasse les recommandations les plus expresses, relativement au silence qu’il fallait garder.
    On chargea les fusils d’avance et tout le monde étant embarqué, le père Morin, aidé par Guillaume, hissa sa voile et mit le cap sur le Banc de Somme qui émergeait un peu à gauche du Hourdel et sur le bord duquel nos chasseurs reconnurent justement, à leur forme oblongue et à leur peau grisâtre, un certain nombre de phoques échoués.
    — Père Morin, fit à voix basse M. de Kergolen, vous savez qu’il faut les prendre par derrière. Faites donc en sorte de tourner le banc.
    — Compris ! répondit le vieux pêcheur.
    Et avec une habileté de pilote consommé, il vira doucement et longea au plus près le bord désigné, jusqu’à un certain endroit, où il jugea, que l’exhaussement du banc, à sa partie médiane, devait masquer le bateau et, à plus forte raison, les chasseurs.
    Arrivé à cet endroit, il accosta sans avoir même frôlé le sable.
    M. de Kergolen, regardant alors chacun de ses compagnons, mit son index sur ses lèvres, pour recommander de nouveau le silence et débarqua le premier.
    Georges et Maurice le suivirent, en prenant les plus grandes précautions, pour ne pas heurter le bateau.
    Mais quand vint le tour d’Alcide Loriot, bien qu’il eût cherché à faire comme eux, il s’y prit de telle sorte, qu’en s’élançant, il repoussa l’embarcation derrière lui et, par suite, au lieu de descendre sur le sable, il descendit dans l’eau et en eût jusqu’aux genoux.

    Scène de chasse aux phoques vers 1895 au Hourdel


    Malgré cet incident, que la consigne du silence empêcha ses compagnons de commenter, il se mit en marche avec eux et obéit à M. de Kergolen qui, prêchant d’exemple, fit signe à tout son monde de marcher le plus courbé possible, pour arriver à voir, sans être vus.
    Le banc, comme l’avait remarqué le père Morin, faisait dos d’âne et c’est seulement lorsqu’ils auraient atteint le sommet de la convexité, qu’ils devaient apercevoir et tirer les phoques au posé.
    M. de Kergolen, son fils et son neveu marchaient côte à côte.
    Gêné, non plus seulement par l’étroitesse de ses chaussures, mais aussi par l’eau qui venait de les emplir, le brave Alcide se traînait péniblement à une certaine distance en arrière.
    Mais l’on ne s’en préoccupait pas.
    Nos trois chasseurs d’avant-garde n’avaient, en ce moment, d’autre souci que de voir de près le gibier d’un nouveau genre qu’ils avaient aperçu de loin et d’exercer sur lui leur adresse.
    Leur cœur, à vrai dire, battait déjà fortement dans leur poitrine, car ils approchaient du but... quand soudain un coup de feu retentit derrière eux.
    Ils se retournèrent et aperçurent, à une centaine de pas, Alcide Loriot étendu tout de son long sur le sable, son arme à ses côtés et faisant de grotesques efforts pour se relever.
    En toute autre circonstance, ils fussent tous accourus à son aide, mais, pour le moment, la fièvre de la chasse l’emporta sur la compassion et, dans l’espoir de ne pas perdre tout le bénéfice de leur entreprise, ils coururent en avant.
    Par malheur, arrivés à l’endroit d’où ils devaient tirer, ils ne purent qu’assister au spectacle que nous avons décrit.
    Les phoques, au bruit de la détonation, s’étaient arc-boutés sur leur queue et, faisant des bonds énormes, regagnaient au plus vite la mer.
    — Tirons quand même ! fit vivement M. de Kergolen et, cette fois, l’on entendit partir successivement six coups de fusil.
    Mais les phoques étaient déjà hors de portée et, quelques secondes plus tard, la mer les avait tous dérobés aux regards de nos chasseurs.
    Ceux-ci revinrent alors sur leurs pas, tout décontenancés et, au moment même où Maurice, qui avait toujours le mot pour rire, s’écriait: « Diable de compère Loriot ! »
    ils virent venir au-devant d’eux le pauvre Alcide, qui leur expliqua qu’il avait heurté une écore dans le sable et qu’étant tombé avec son fusil tout armé, celui-ci était parti en touchant le sol.
    — Ce coup de fusil prématuré, lui dit M. de Kergolen, nous a fait manquer là une belle occasion ; mais nous la retrouverons peut-être une autre fois.
    — Certainement, fit M. Loriot, et, cette fois-là, je mettrai des souliers qui ne me gênent pas les pieds.
    M. de Kergolen ne répliqua pas, mais il se jura bien, dans son for intérieur, de ne plus jamais associer M. Loriot à ses parties de chasse, fut-il même chaussé à son aise.


    Paul Vupian

     

    Extrait de :

     

    Romans de terroirLA MAISON DU CHRIST À CAYEUX-SUR-MER

    Suivi d’une notice historique et topographique sur Cayeux et son territoire

    Etude de mœurs locales
     
    Paul Vulpian
      14.7 x 21 cm - 182 pages - Réédition

    Pour en savoir plus sur ce livre...

     

     

     

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