• Chez les fabricants de jouets au début du XXe siècle

     

    Chez les fabricants de jouets au début du XXe siècle

    Les fabricants de jouets parisiens

    Chaque année, au moment des étrennes, les promeneurs curieux se pressent sur les boulevards devant les petites baraques, examinent longuement les nouveaux jouets de la saison, s’arrêtent aux boniments des marchands, se montrent friands des bibelots d’actualité scientifiques ou politiques. Si ces jouets savent intéresser les grandes personnes en même temps qu’ils amusent les enfants, ce n’est pas seulement par leurs formes ou les mouvements qui les animent, mais c’est surtout par l’ingéniosité vraiment remarquable des fabricants qui parviennent à créer, avec quelques bouts de bois, de fil de fer et d’étoffe, de véritables inventions. Ces inventions sont dues, pour la plupart, à de modestes artisans plus riches d’idées que de capitaux, qui luttent difficilement contre les grandes usines dont les machines produisent vite et à bon compte trois mille jouets par jour, neuf cent
    mille chaque année.

    Mais si la fabrication mécanique intensive et la préparation manuelle naturellement lente des jouets permettent de constater, une fois encore, la suprématie du capital sur l’intelligence, elles nous donnent aussi l’occasion de faire des comparaisons intéressantes entre les moyens d’action des petits ouvriers en chambre et ceux des directeurs d’usines.
    Les premiers sont dignes en effet d’une curiosité bienveillante ; on ne peut s’empêcher d’estimer comme ils le méritent ces constructeurs de joujoux qui, pour garder leur ancienne liberté de travail, luttent avec courage contre la surproduction mécanique. Presque tous sont de pauvres ouvriers, visités plus souvent par le génie que par la fortune, et qui n’ont, pour travailler et mettre en œuvre leurs modèles, qu’un bout de table dans une mansarde.
    Ils habitent au Marais, dans de petits ateliers meublés généralement d’un établi, d’un poêle, d’une table et d’un lit, de plusieurs souvent, car les enfants sont nombreux dans ces intérieurs de travailleurs peu fortunés. C’est dans ce quartier, consacré par l’usage commercial à l’industrie des jouets, qu’il faut se rendre si l’on veut savoir comment se fabriquent les bibelots amusants que les camelots installent sur les boulevards au moment des étrennes.
    On y verra tous nos fabricants parisiens, aussi bien ceux qui construisent les petits trains en fer-blanc estampé, composés de vingt-neuf morceaux patiemment assemblés, et vendus au détail par les bazars 0 fr. 20 que ceux qui, plus fortunés, peuvent mouler en carton des soldats et des gendarmes articulés, peints et vernis, affichés à 0fr. 40 chez les revendeurs, ou des jouets plus luxueux encore à 0 fr. 60, 1 franc et 1 fr. 75.
    Cette année on pouvait voir, dans les petites baraques de bois ouvertes aux curiosités enfantines, des poupées mécaniques, habillées en clown ou en demoiselle, et qui semblaient faire automatiquement des petites bulles de savon. L’illusion pour les enfants était complète, et les gens raisonnables, en déshabillant le pantin, pouvaient apprécier la merveilleuse ingéniosité et les prodigieuses économies réalisées par les fabricants de ce jouet vendu 1 fr. 75.

    Lorsqu’on enlevait le vêtement de satin qui dissimulait élégamment l’anatomie constructive du faiseur de bulles, on trouvait une planche de bois à laquelle s’ajustaient des bras en fil de fer, des pieds et des mains en carton. Un tuyau de caoutchouc, partant d’un soufflet placé sous les pieds, aboutissait au tube de bois qui faisait les boules.
    Celles-ci étaient donc créées, non par la bouche, comme on pouvait le croire, mais par la main.
    Le véritable problème, pour les créateurs de ces jouets bon marché, c’est avant tout le prix de revient et les bénéfices possibles.

    [...]

    On ne se doute pas de la multiplicité des opérations nécessaires à la terminaison des automates tels que l’agent à bâton blanc, représenté en tête de ce chapitre, et qui avance sur les deux pieds, sans point d’appui supplémentaire, en agitant les bras. Un sergent de ville exige la combinaison de cent vingt-cinq mains appliquées à cent vingt-cinq opérations ou passes successives.
    C’est par dix mille par jour que l’ouvrier spécial estampe les feuilles de fer-blanc qui forment les corps ; après l’estampage une seconde machine enlève les bavures, perce les trous pour le montage des corps, des jambes et du mécanisme ; celui-ci se compose de trois ressorts, de quatre roues dentées, d’un échappement régulateur et de
    deux béquilles. Ces béquilles, mues par les roues comme des bielles, viennent, dans leur mouvement de va-et-vient, appuyer tour à tour sur le sol en poussant en avant le bonhomme que ses pieds de plomb retiennent en équilibre.

    Lorsqu’ils sont montés, les petits agents passent au réglage. Rapidement huilés par une petite fille, les mécanismes sont vérifiés par deux régleurs qui n’acceptent que ceux dont le mouvement et l’équilibre paraissent parfaits. Après ce passage à la révision, les pantins vont à la peinture ; une ouvrière barbouille les têtes de blanc, une autre les teint de rose, une troisième dessine les yeux en deux coups de pinceau ; la moustache est l’œuvre d’une quatrième, et une cinquième met sur le képi du noir, du rouge et du blanc. Les agents sont amenés à la peinture par plateaux de cinquante, chaque ouvrière en exécute deux cents par jour.
    Peint, verni, le squelette va revêtir dans un atelier voisin le costume d’uniforme qui n’est ni d’essayage long ni de couture difficile.
    Pantalons, vestes et pèlerines sont ajustés en un tour de main et, toujours par fournées de cinquante, ils passent chez les colleuses dont l’une pose les trois boutons et les galons en papier d’argent, l’autre le ceinturon et la plaque, tandis qu’une troisième ajuste la main gauche en carton après la manche qui est flottante sans bras. Cent automates à l’heure sont terminés par les colleuses et livrés au dernier essayage des vérificateurs. Définitivement accepté, poinçonné, le sergent de ville peut prendre enfin possession de la boîte bleue et rouge, aux couleurs de la ville de Paris, qui lui sert de guérite.

     

    Extrait de :

     Les p'tites histoiresLES MÉTIERS DE NOS ANCÊTRES 

     Pierre Calmettes
     
     15 x 21 cm - 306 pages - près de 200 dessins de l'auteur
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