• Une innocente à la prison de Doullens

     

    Le 6 septembre 1861. Le greffier comptable Tarin note l’entrée de notre Roseke condamnée aux travaux forcés à perpétuité par les assises du Nord pour avoir homicidé son père.
    Décidément, en prison, notre Roseke a toujours droit à d’historiques cellules, entre « l’oubliette moyenâgeuse » d’Hazebrouck et la cellule « renaissance » de Doullens il y avait tout de même un progrès ! Cette fois elle était logée au premier étage dans une cellule dont les murs et le sol étaient de bonne pierre calcaire, les rongeurs ne s’y trouvaient pas assez proches de sources de ravitaillement pour y élire domicile. Autre point positif, comme la citadelle ne reçoit que des femmes, ce sont des bonnes sœurs (la congrégation de Marie Joseph) qui sont les gardiennes directement en contact avec les prisonnières. Les gardiens hommes n’interviennent que pour les actions violentes (emmener une prisonnière au cachot ou passer la camisole de force). Pour une femme très pieuse comme notre Roseke, le fait que les secours de la religion soit très largement dispensés constituait un fait positif. Autre fait positif, les prisonnières sont deux par cellule, c’en est fini de et l’isolement et de la crainte de devoir partager la cellule avec une moucharde.

    Une innocente à la prison de Doullens


    L’emploi du temps des prisonnières était, en semaine, tellement chargé qu’elles n’avaient pas le temps d’avoir du vague à l’âme : d’avril à septembre,10 lever à 5 heures, toilette, soupe, ménage, puis sortie de la cellule pour l’appel et départ pour l’atelier de travail à 6 heures. A 6 h.30 début du travail. A 11h.30 déjeuner, à 12 h.15 promenade, de 13 h. à 19 h. travail, de 19 h. à 19 h.45 promenade. Le dîner est pris de 19 h.45 à 20h.30. De 20 h.30 à 21 h.15 vêpres, 21 h.30 extinction des feus. D’octobre à mars ces horaires sont décalés d’une heure. Toutes les femmes prisonnières sont ici détenues, elles ne sont donc plus au secret ou à la disposition du juge : elles travaillent au moins onze heures par jour. La plupart travaillent à l’atelier à la confection de couronnes mortuaires en fil de fer et perles de verre. A leur entrée à l’atelier on leur remet une pince coupante (à rendre à la sortie), et les gabarits nécessaires au formage des couronnes. Les pots avec les perles de diverses couleurs sont disposées sur les tables de travail. Une détenue entraînée arrive au mieux à réaliser 3 couronnes dans sa journée, par couronne elle touche 4 centimes versés à son pécule ou utilisé en partie pour cantiner : le fil et les aiguilles, la laine et les aiguilles à tricoter doivent être achetées : l’administration ne fait pas de cadeaux de ce genre ! Il y a également une brigade de femmes pour la cuisine et les distributions de repas, une brigade pour le nettoyage et l’entretien des parties communes, et une dernière brigade fort conviée : celle de la lingerie. Les femmes travaillant dans ces brigades touchent 10 centimes par jour. Généralement, le travail se fait en silence, ou en écoutant la lecture faite par une gardienne : la vie des saints est la lecture de prédilection.
    Après la semaine passée à confectionner ces couronnes mortuaires que font les prisonnières de leur dimanche ? Le bulletin de la société générale des prisons (société philanthropique) de 1864 nous le décrit par le menu « La journée commence par des soins de propreté plus prolongés, soins des chevelures, bains de pieds ; – l’assistance à la messe ; – le premier repas ; – une heure de classe sous forme de causerie, de conférences de choses utiles à leur apprendre, faite par la supérieure ; – la correspondance pour celles dont c’est le jour ; – les leçons de chant pour le chœur de la chapelle ; – la lecture personnelle ou en commun ; – une promenade en file indienne (si triste à voir) dans le préau ou sur les courtines suivant le temps ; – l’assistance aux vêpres, après ce dernier office, le second repas ; – une récréation, c’est à dire la même promenade suivant les méandres tracés dans les pavés des cours ; – enfin une seconde lecture personnelle pour celles qui savent lire, en commun pour les autres. » Qu’y a-t-il de plus désespérant qu’un dimanche en prison ? Les associations charitables de visiteurs des prisons constatent que c’est le dimanche qu’il y a le plus de suicides, et avec l’accord de l’aumônier général des prisons elles proposent un travail libre (contrairement à celui de la semaine) de deux heures. On forme des monitrices de manières à ce que celles qui connaissent une activité manuelle propre à rapprocher les détenues de leur famille puisse la montrer aux autres sous la surveillance des visiteuses des prisons et des sœurs gardiennes. « Pendant les récréations et le dimanche, les élèves livrées à elles-mêmes tricotent de petits bas pour leurs jeunes enfants, d’autres un gilet pour leur mari ou une écharpe pour leurs parents. Les matières premières achetées avec empressement sont un excellent emploi d’une partie du pécule. D’autres ont appris à tailler, et cousent des petites chemises, des robes, des tabliers, des pantalons pour leurs enfants et leur famille. Combien de pardons ont déjà été obtenus par l’acte de soumission auquel l’envoi de ces objets utiles servait de prétexte ! Une statistique des plus intéressantes concerne les progrès dans le calme et la docilité des femmes qui avant de prendre ces occupations étaient constamment punies pour indiscipline ».
    Lorsque notre dentellière révoltée par la manière dont la justice lui a été rendue entame sa peine, elle a un peu de chance dans son malheur : rapidement la sœur du sacré cœur de Jésus et l’abbé Duez la remarquent. Certes elle est à vif et prompte à démarrer, mais très pieuse, pas rebutée par les travaux les plus pénibles, et surtout experte en travaux d’aiguille. Pour tester son état d’esprit, on la place dans la même cellule qu’une détenue récidiviste endurcie passant pour avoir très mauvaise mentalité. Philomène Marescaux, sauvageonne sortie des ruisseaux de Lille, a été arrêtée plus d’une fois pour prostitution, pour divers larcins, pour insulte à agent, pour ivresse publique. Elle est fille-mère d’un garçon de douze ans qu’elle a peut-être vu quatre ans pour le plus. Malgré sa petite taille, et le peu de français qu’elle parle, notre Roseke prend rapidement l’ascendant sur Philomène, qui dans le fond pas méchante fille ne demandait qu’a être écoutée et a écouter. La forte volonté de Roseke, ses colères terribles lorsque l’autre tenta de se moquer d’elle pendant ses prières, et surtout les malheurs qu’elle avait subis (bien au-delà de ceux de Philomène) forcèrent le respect. Moins d’un mois plus tard la conversion intérieure de Philomène intervenait. Qu’est-ce que la conversion ? C’est surtout le changement du regard que l’on porte vers l’autre, eh bien disons que cette Philomène là et cette Roseke se convertirent mutuellement à plus d’humanité : les sœurs gardiennes n’étaient plus des ennemies, les autres détenues étaient des êtres qui souffraient, et même un geste infime comme une petite tape sur l’épaule ou un sourire peuvent changer la vie.
    Notre Roseke apprit ainsi en dix mois à parler un peu de français, elle ne perdit jamais l’espoir que les assassins du vieux Martin allaient être enfin arrêtés, et aussi elle enseigna l’art compliqué de la dentelle au carreau à nombre de prisonnières. Sa présence aida quelques-unes de ses co-détenues a évoluer vers plus de sérénité, et elle-même retrouva un peu de paix intérieure que la cruauté du juge X et l’indifférence des jurés de Douai lui avaient fait perdre.

     

    Extrait de :

    Rosalie Doise erreur judiciaire 

     UNE PARRICIDE AU TRIBUNAL D'AMIENS
     Rosalie Doise, victime d'une erreur judiciaire sous Napoléon III
       Gérard Hotier
       14 x 21 cm - 226 pages.

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