• Roberval et Jacques Cartier, jalousies et discrédits

    « Le huit de ce mois nous entrâmes au havre de Saint-Jean où nous trouvâmes 17 navires de pêcheurs. Durant notre séjour en cet endroit, Jacques Cartier et sa Compagnie, venant du Canada, arrivèrent au même havre. 
    Étonné et curieux de le trouver là, je l’accueillis à mon bord et le pressai de questions. Après m’avoir rendu ses devoirs, il me raconta toutes les difficultés qu’il avait dû surmonter pendant l’hiver.
    Les Indiens avaient à plusieurs reprises attaqué le fort et tenté même de mettre le feu aux navires. Plusieurs de ses gens avaient été tués ou capturés. Ajouté à cela, le mal de terre s’était développé dans la colonie et avait emporté une vingtaine d’hommes.

    Roberval et Jacques Cartier, jalousies et discrédits

    Portrait de Roberval réalisé par Michèle Collard, d'après un fac-similé d'un "crayon" de Clouet (vers 1535).


    Tous commençaient à désespérer de me voir arriver. Le printemps venu ils s’étaient fait à l’idée que je m’étais perdu en mer et le poussaient à retourner en France, le contrat de nombreux matelots et d’artisans venant à échéance. Ce qu’il avait fini par accepter.
    Malgré tout, tant lui que sa compagnie ne tarissaient pas d’éloges sur le pays de Canada qu’ils décrivaient comme étant très riche et très fertile.
    Cartier me dit aussi qu’il ramenait certains diamants et une quantité de minerai d’or qu’il avait trouvé au pays. 
    Le dimanche suivant on fit l’essai de ce minerai et il fut trouvé bon par certains qui se disaient connaisseurs en la matière.
    Cartier expliqua longuement et dans le détail, à mon pilote Alphonse l’itinéraire qu’il devait emprunter pour rejoindre Charlesbourg-Royal.
    Jugeant que je disposais de suffisamment de soldats et d’artillerie pour affronter les Indiens, je lui commandai de retourner avec moi pour rejoindre le Canada. 
    Je fus surpris le lendemain de constater que les trois navires de Cartier avaient quitté le havre : lui et ses gens, remplis d’ambition, et parce qu’ils voulaient avoir toute la gloire d’avoir fait la découverte de tous ces trésors, se sauvèrent secrètement la nuit et, sans prendre congé, prirent la mer aussitôt pour regagner la Bretagne. »


    On peut comprendre l’attitude de Cartier : il nourrissait beaucoup de rancœur pour Roberval qui lui avait soufflé la première place dans l’expédition. 
    Rentré avant lui en France, il voulait être cette fois le premier à apporter au roi les preuves de la richesse en or et pierres précieuses du Canada et retrouver ainsi la place qui devait lui revenir dans la découverte et la colonisation de cette France nouvelle : la première.
    Hélas, il dut vite déchanter ! Les échantillons des « trésors » rapportés furent, pour vérification, soumis une nouvelle fois à l’épreuve des « alchimistes » du Roi. Cruelle désillusion ! Ce qui était présenté comme de l’or se révéla n’être que de la vulgaire pyrite de fer, et les prétendus diamants de beaux spécimens de cristal de roche (quartz)…

    Roberval et Jacques Cartier, jalousies et discrédits

    Jacques Cartier (un de ses nombreux portraits imaginaires), gravure de Pierre-Louis Morin (vers 1854).

     

    Consterné, Cartier fut totalement discrédité par cette malheureuse confusion. Il regagna sa propriété proche de Saint-Malo en s’interrogeant sur le comportement des mineurs de Roberval : pourquoi avaient-ils affirmé, après leurs « essais », que ses échantillons étaient bien de l’or et des diamants ? Quand on sait que Roberval allait, quelques années plus tard, devenir « grand maître des mines et des minières du royaume » on reste confondu devant une telle erreur d’analyse de ses « chimistes ». 
    Mais était-ce vraiment une erreur ? Il avait probablement été informé que Cartier se préparait à prendre le large discrètement pour tirer seul toute la gloire d’offrir au roi les prétendus trésors. Roberval, en homme rusé et parfois sans scrupules, avait voulu jouer un bon tour à son désobéissant capitaine en ordonnant à ses mineurs de mentir sur la vraie nature des échantillons testés. Il était sûr que les experts en minerais du roi ne manqueraient pas de démontrer l’insignifiance du trésor rapporté par Cartier : le naïf Malouin se ridiculiserait aux yeux du roi et de la cour !

    Extrait du livre : Roberval, petit roi du Vimeu, vice-roi du Canada, par Jean-Claude Collard.

     

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