• Mon piston, le moulin, les champs, un texte de Charles Lecat

     

    Transcription en français :

    Durant la Grande Guerre, l’auteur patoisant Charles Lecat, ne pouvant plus jouer du piston dans le village par respect pour les veuves, accepte de répéter quelques morceaux dans le moulin d’un ami de la famille retiré dans les champs.

    (...) Je suis donc allé jouer du piston - un instrument à vent pour faire du son - dans un moulin, un autre instrument à vent pour faire également du son, en même temps que de la farine. (...)
    J’étais aussi heureux qu’un poisson dans l’eau quand je m’en allais au moulin.
    J’enveloppais mon piston dans un chiffon, pour qu’on ne le voit pas.
    En sortant des haies, j’apercevais le moulin à deux cents mètres dans les champs. Ses quatre ailes qui couraient les unes après les autres avaient l’air de me faire signe pour que je me dépêche. (...)
    J’arrivais en bas de l’escalier, un escalier tremblant, fixé à la longue queue et, en quatre enjambées, j’étais en haut. La porte était toujours grande ouverte. J’entrais et je m’asseyais sur un sac de mouture. Je sortais mon piston et mes partitions, puis je commençais à jouer.
    Dufrien s’asseyait sur un autre sac de mouture, et il m’écoutait en fumant sa pipe. Parfois, le chat (il y en a toujours au moins un dans un moulin pour les souris et la vermine) se couchait en rond sur la bascule, non loin de moi, pour m’écouter aussi, probablement.
    Personne d’autre qu’eux ne pouvait entendre. (...)
    Quel plaisir j’ai eu à jouer du piston dans le moulin Popol ! C’est pour jouer de la musique avec moi, que les meules bruissaient doucement sur ma tête. C’est pour me battre la mesure que le cliquet de la bluterie faisait son tic-tac. Croyez-le : en fabriquant de la farine, un moulin, ça fait de la musique. Une musique douce, qui s’harmonisait très bien avec la musique de mon piston.
    Je me sentais comme un chat dans un panier dans le moulin Popol, au milieu des champs, avec seulement mon piston, le vent et Dufrien.
    Mais je n’irai plus jamais, jamais faire de la musique dans un moulin. Comment ferai-je ?
    Mon piston est démonté et des moulins... il n’y en a plus. Il y en avait pourtant plein les champs, et c’était joliment beau !
    Savez-vous que rien qu’à Woignarue, quelques années avant la guerre 14, il y en avait quatre ?
    Mais, à propos des champs, je vous dirai pour finir mon histoire, que ceux d’aujourd’hui, les champs, sans chevaux ni charrettes, sans faucheurs ni coupeurs, sans chemins verts ni sentiers, sans ratisseurs ni éparpilleurs de fumiers, sans alouettes ni coucous, sans meules et, par-dessus tout, sans moulins... ça n’est plus “les champs”. Ce n’est plus que des exploitations agricoles, qui sentent le pétrole !

    Mon piston, le moulin, les champs, un texte de Charles Lecat



    Tiré du livre : Réderies et pis dz eutes histoéres (recueil de textes en patois picard)

    A voir aussi le livre : Les vieux moulins de Picardie

     

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