• Le réveillon manqué...

     

    Un curé fort pauvre, désirant faire le réveillon, demanda, la veille de Noël, à son maître d’école s’il avait de quoi faire un bon repas.
    — Hélas ! M. le Curé, je n’ai rien. Et vous ?
    — Je n’ai rien non plus. Et cependant je voudrais réveillonner.
    — Moi aussi. Que faire ?
    — Il me vient une idée, magister. Prends mon baudet et va à la ferme de Jean-Louis ; tu entreras dans la bergerie et tu prendras un mouton bien gras. Je te conseille une mauvaise action, mais Dieu est miséricordieux, il nous
    pardonnera. Au reste, c’est dans le but de fêter convenablement l’anniversaire de la naissance de son Fils.
    — C’est bien dit, M. le Curé.
    — Une dernière recommandation, magister. Il y a plus d’une demi-heure de marche d’ici à la ferme ; fais en sorte d’être de retour pour la messe de minuit.

    Le réveillon manqué...


    Le maître d’école partit aussitôt, monté sur le baudet du curé. Un profonde obscurité semblait vouloir favoriser la mauvaise action qu’il allait commettre.
    A la pensée du festin qu’il comptait faire à son retour ; il se léchait les babines à l’avance ; et cette pensée le ragaillardissait et lui mettait un peu de cœur dans le ventre, car il se rendait bien compte du vilain rôle qu’il avait consenti à jouer.
    « Bonne affaire, se dit-il en arrivant auprès de la ferme. Je ne vois pas de lumière, c’est que tout le monde est couché. » Il pénétra à pas de loup dans la cour, se dirigea vers la porte de la bergerie, où il attacha son baudet, et entra dans l’étable. Il se mit en devoir de choisir à tâtons le mouton le plus gras, mais, à son approche, toutes les bêtes se mirent à sauter et à bêler.
    Entendant du bruit dans sa bergerie, le fermier se leva, et, muni d’une lanterne, il descendit dans la cour. Quel ne fut pas son étonnement d’apercevoir un baudet attaché par le licol à la porte de sa bergerie ? Il s’arma aussitôt d’un énorme gourdin et entra dans l’étable avec son domestique. A la vue de la lanterne, le maître d’école n’eut que le temps de se cacher sous la crèche. Le fermier fit le tour de la bergerie, et, baissant sa lanterne, il aperçut
    deux pieds qu’il tira vigoureusement à lui. A la lumière, il reconnut le maître d’école.
    — Comment, c’est toi, brigand, qui viens ici voler mes moutons ?
    Et pif ! paf ! il frappa de toutes ses forces sur le magister, qu’il renvoya plus mort que vif. Celui-ci repartit à pied, clopin-clopant, car le fermier ne lui laissa pas reprendre son baudet.

    Tout en cheminant, le malheureux se frottait les membres et faisait d’amères réflexions. Ce qui le préoccupait, ce n’était ni la perte de son honneur ni celle de son baudet, mais bien plutôt le réveillon qu’il ne pourrait faire.
    La messe de minuit était commencée lorsque le maître d’école arriva à l’église.
    Il se rendit à la sacristie, vêtit son surplis et sa chape et alla prendre sa place au lutrin.
    Le curé, qui était à l’autel, ne pouvait point descendre pour demander à son complice s’il avait réussi, et, cependant, il grillait de savoir s’il avait pu rapporter un mouton.
    Or, je dois dire ici que le magister se nommait Dieu, et que le curé, en bon latiniste, l’appelait constamment Deus meus. Arrivé au chant du Liber generationis, le curé dit, au lieu de Dominus vobiscum :
     - "Deus meus l'as-tu c'mémé ?" (Dieu as-tu ce mouton ?)
    Le magister répondit ainsi :
    - "Il ont tapémi, il ont prins men huho !" (Ils m’ont frappé, ils ont pris mon hu ! ho ! - mon baudet.)

     

    Un conte d'Alcius Ledieu.

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