• Le pèlerinage à St Jacques en 1726 d'un paysan picard

     

    Le 26 juillet 1726, Guillaume Manier quitta son village de Carlepont, près de Noyon, pour St-Jacques de Compostelle où il arriva après trois mois de marche.

    Originaire de Carlepont, village situé dans l'actuel département de l'Oise, à sept kilomètres au sud de Noyon, en forêt d'Ourscamps, notre pèlerin se déclare "Picard" avec fierté.
    Certains termes de son vocabulaire rappellent l'appartenance de ce secteur au domaine linguistique picard : c'est l'un des aspects les plus attachants de ce journal de route.
    L'auteur du récit, un "tailleur d'habits" nommé Guillaume Manier, nota son itinéraire et les événements qui eurent lieu durant le parcours. Le texte fourmille d'anecdotes qui nous font découvrir le quotidien d'un pèlerin du dix-huitième siècle et maints détails sur les localités traversées, les habitants rencontrés, les coutumes régionale.

     

    FONTAINE BOUILLANTE.

    - Cette ville possède en elle une fontaine qui est bouillante, dont il sort dans une rue de la ville, par deux cahos de cuivre. Cette fontaine n’est ni carrée ni ronde, d’une mesure inégale ; elle jette l’eau toute fumante dans la rue et chacun en prend pour laver la vaisselle. Elle est enclose dans une cour d’un tourneur, où il n’y a qu’un petit sentier pour y entrer et pour faire la séparation d’une autre qui est tout près, dont l’eau est froide comme la glace
    et n’a de grandeur que la moitié de l’autre.
    La bouillante, peut avoir 50 empas de tour, environnées de maisons. L’eau est chaude toujours plus en plus en allant au fond. L’on y a jeté autrefois un plomb avec une ficelle pour en sonder la profondeur, l’on n’a jamais pu parvenir au fond. Autrefois, un menuisier, qui était fou à courir les rues, est tombé malheureusement dedans. Il fut retiré sur le champ cuit, qu’il tombait par lampion (lambeaux).
    Derrière les Capucins, hors de la ville, sur le bord de la rivière est une maison bourgeoise, où dedans sont renfermés trois bains, appelés les bains de Daxe, qui sont renommés par toute la France. Ils sont séparés l’un de l’autre. Ils sont enclos de planches peintes en rouge. L’on descend dans chacun par un escalier de planches, qui va jusqu’au fond, pour prendre les bains tant et si peu que l’on souhaite. L’eau en est tiède, c’est pourquoi l’on se déshabille pour y entrer. L’un s’appelle la Boue, le second le Vin chaud, le troisième le Meilleur. La personne qui nous a expliqué cela était charmée et s’en faisait un vrai plaisir. Elle était fille qui servait dans cette maison, mais une beauté ! Elle nous a donné à dîner. L’un de nous en était épris.
     

    ENTRÉE EN ESPANGNE PAR LA HAUTE-NAVARRE.

    - D’abord que nous fûmes passés cette petite rivière, nous sommes arrivés dans une petite ville de la Navarre, nommée Sainte-Marie-de-Hiron (Yrun), par un jour de fête.
    Nous avons d’abord vu une quantité de filles et femmes revêtues chacune de si grande beauté, qu’il semblait être dans un lieu de délices, avec leurs cheveux en nattes, des corsets bleus ou rouges, faites au tour, des visages mignons au delà de ce que l’on peut imaginer. C’est pourquoi je peux dire que cette ville est partagée d’un aussi beau sexe, comme il peut s’en voir de toutes les villes de l’Europe et, au contraire, pour la laideur des hommes. Les femmes ont des manches à la marinière comme les hommes.
    Les églises sont superbement ornées. Il n’y a guère villages en Espangne, qu’à l’entrée et au sortir, il n’y ait une chapelle bien ornée et entretenue avec l’huile qui brille toujours. Quand on sonne l’angelus dans ces pays, en tel endroit que l’on se trouve, faut se mettre à genoux. Ils y font mettre les étrangers, même de force, en cas de résistance.

    TOUR PLAISANT ARRIVÉ A HERMANT.

    - Étant arrivés dans ce village, dans une maison entre autres, où nous étions pour coucher : il est bon de dire que la méthode du pays est pour les hommes et femmes, qu’ils couchent tout habillés et changent de linge deux fois par an. Les bœufs couchent dans la même maison, à la réserve d’un bâton qui les sépare avec l’auge à manger. Les cochons et autres bestiaux sont libres de battre la patrouille la nuit, par tous coins et recoins de la maison.
    Nous autres, étions couchés devant le feu sur trois ou quatre brins de paille qui couraient après l’un l’autre, si bien que l’heure de la patrouille des cochons étant arrivée, sont venus nous joindre où nous étions. Ils ont d’abord éventé un navet que Hermant portait dans son sac, depuis plus de 50 lieues, par curiosité et dans la vue d’en faire une fricassée, pour le régal de celui de nous qui serait roi en découvrant le premier le clocher de Compostelle. Ce navet pesait bien 3 livres. Le plus hardi de ces cochons ayant investi le pauvre Hermant, pour avoir son navet qui était pour lors dans son sac, et que son sac était en guise de chevet sous sa tête ; l’empressement que ce cochon avait d’avoir le navet, fit qu’il donna un grand coup de gueule sur le sac pour avoir le navet ; il prit en même temps le sac et une bonne partie de ses cheveux et l’entraîna à quatre pas loin. Celui-ci se sentant insulté, tout en sursaut se met à crier : au voleur et à l’assassin ; bien que tout le monde s’était éveillé. On a allumé la lampe pour voir ce que c’était. L’on a d’abord vu monsieur le cochon en bataille avec ses camarades, qui voulaient être de moitié de sa capture. Ce qui fut le sujet de la comédie des Espagnols, le reste de la nuit, et le sujet des jurements exécrables de Hermant qui ne se possédait pas, si tellement que si on lui en parlait encore aujourd’hui, il jurerait de nouveau, comme si la chose venait de lui arriver.

    Le pèlerinage à St Jacques en 1726 d'un paysan picard


     

    DE NOTRE ARRIVÉE À COMPOSTELLE ET DE MA DESCRIPTION DE LA VILLE.
     

    - Cette ville est à peu près de la grandeur de la ville de Noyon, située entre des montagnes. En y entrant, étant descendu de la montagne de Talatte, l’on y entre de plain pied et dans 1e milieu l’on descend. Elle est fort marchande. Le tabac d’Espangne se vend en poudre, étalé sur la place, aussi bien que d’autres marchandises.
    Nous y avons entré à 9 heures du matin, où nous fûmes à la cathédrale, qui est Saint-Jacques, pour rendre grâces à Dieu de nous avoir fait la grâce d’avoir fait le voyage en santé. Nous y avons entendu la messe. Ensuite au dîner au couvent de St -François de chocolante, à onze heures précises ; l’on y donne du bon pain, de la soupe et de la viande. A douze heures, avons été manger, en second lieu, la soupe au couvent des bénédictins de St-Martin, où l’on y donne de la morue, de la viande et de l’excellent pain, ce qui est rare en cette province.

     

    Extrait de :

    Récits de voyagesPÈLERINAGE D’UN PAYSAN PICARD

    À SAINT-JACQUES DE COMPOSTELLE

    AU COMMENCEMENT DU XVIIIe SIECLE

    Guillaume Manier
    Annotations : Baron de Bonnault d’Houët, archiviste paléographe

    Présentation et cartographie : Joëlle Désiré-Marchand
    14 x 21 cm - Reprint - 288 pages  

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