• La façade occidentale de la cathédrale d'Amiens

     

    La façade occidentale, du moins jusqu’à la corniche qui court au-dessus de la grande rose, compte parmi les plus belles façades gothiques qui existent, bien qu’on puisse lui reprocher la quasi égalité de ses deux galeries superposées — défaut qu’a su très habilement éviter le maître de l’œuvre de Notre-Dame de Paris — et aussi une sorte d’indécision de lignes derrière les gables ou pignons, qui surmontent les trois portes. A côté de ces légers défauts, elle possède les plus sérieuses qualités : lignes principales franchement et nettement marquées dans les deux sens vertical et horizontal ; décoration scrupuleusement maintenue à l’échelle ; manière simple et large, qui accuse et fait sauter aux yeux les moindres parties, sans désordre et sans confusion. Il n’y a pas de détails multiples, s’agitant en tous sens, sans souci des proportions, où l’œil s’égare et ne perçoit plus rien, mais la ligne, franche et pure, d’une sévère élégance et toujours commandée par la construction : façade gothique et rationnelle par excellence. C’est merveille d’y voir la lutte de l’artiste contre les plus grandes difficultés, pour concilier les nécessités de la construction avec la ligne architecturale, comment il a su, souvent, par des subterfuges audacieux, composer ce magnifique ensemble dont chacun admire la pureté. Toute l’ordonnance de la façade occidentale est comprise entre quatre énormes piles correspondant aux murs extérieurs des bas-côtés et aux deux rangées d’arcades longitudinales. Par une disposition à peu près unique, les deux tours de la façade, qui sont oblongues et non carrées comme d’habitude, sont prises et agencées d’une façon très ingénieuse entre ces quatre grandes piles. Ce système qui donne peut-être à la partie haute des tours quelque chose d’un peu mesquin, a l’immense avantage de dégager leur base et les entrées de l’édifice, et d’éviter l’encombrement de celles-ci par les énormes piliers que nécessitent les tours carrées. Là, surtout se révèle l’originale sagacité du constructeur de la cathédrale d’Amiens. Horizontalement, cette façade se divise en cinq étages : — 1° Rez-de-chaussée ou étage des portes ; —2° Première galerie correspondant à l’étage du triforium ; — 3° Deuxième galerie dite galerie des Rois ; — 4° Etage de la grande rose ; — 5° Etage supérieur des tours et du pignon central. Ce dernier n’a été élevé qu’au XIVe siècle. L’étage inférieur est occupé par les trois grandes portes qui donnent accès dans la nef et dans les bas-côtés. Profitant de la grande saillie des contreforts qui divisent verticalement toute la façade, on a fait précéder chacune de ces portes d’une voussure profonde, dont l’ébrasement donne à l’archivolte antérieure toute la largeur comprise entre deux contreforts il y a ainsi, entre chaque porte, un trumeau qui a toute la largeur de la pile, ce qui satisfait à la fois l’œil et la raison. A chaque porte, cette archivolte antérieure est surmontée d’un gable orné de crochets sur ses rampants, et faisant saillie en avant du mur de la façade. La voussure de la porte centrale est encore plus profonde que celles des deux portes latérales. La profondeur de ces voussures est telle que leur ébrasement ne suffit pas à les remplir entièrement, mais qu’il reste en avant de celui-ci un espace assez considérable. On l’a couvert d’un berceau brisé, orné de doubleaux sculptés qui continuent la série des archivoltes de la voussure. Ces archivoltes sculptées ont pour supports des colonnettes, à chacune desquelles est adossée une grande statue en pied d’environ 2 m. 40 de hauteur. De petits personnages accroupis servent de consoles aux socles sur lesquels les statues sont posées. Chaque statue est abritée par un joli dais. L’ensemble des piédroits repose sur un stylobate continu à trois divisions horizontales. La première est ornée de deux rangs de quatrefeuilles, dans lesquels sont sculptés des bas-reliefs. A chaque grande statue correspondent deux quatrefeuilles superposés. Au-dessous en est une autre un peu plus étroite, garnie d’une ornement continu de très faible saillie, dessinant une sorte de tapisserie. Ce dessin fait ressortir la série de quatrefeuilles qui précède, en la soulignant par une bande d’un ton plus sombre, en même temps qu’il ménage une heureuse transition entre celle-ci et la dernière division, formée par le soubassement en grès qui règne tout autour de la cathédrale, et qui donne à notre façade une base solide et ferme. La même ordonnance se poursuit à la partie antérieure des quatre grandes piles qui tiennent lieu de trumeaux séparatifs entre les portes. Chaque porte est divisée en deux par un trumeau auquel est adossée une grande statue en pied posée sur un socle ou piédestal orné de bas-reliefs. Les tympans sont aussi ornés de sujets à personnages, sur plusieurs zones ou registres superposés.

    La façade occidentale de la cathédrale d'Amiens

    Tympan du grand portail, Le Jugement dernier.

     

    Toutes les sculptures qui décorent ces trois portes étaient jadis peintes ou dorées. On en voit encore des traces par endroits. Certaines parties ont été sculptées avant la pose, d’autres après. La statuaire du grand portail de la cathédrale d’Amiens est une des plus magnifiques de la première moitié du XIIIe siècle. Contrairement à ce que l’on peut voir dans d’autres cathédrales non moins célèbres, elle est d’une homogénéité telle, tant au point de vue iconographique qu’au point de vue artistique, qu’il est impossible d’y supposer des reprises. Il y a bien, naturellement, quelques nuances dans l’exécution, mais c’est partout la même entente de la composition, aussi bien dans l’arrangement de chaque sujet en particulier que dans l’ordonnance générale. On sent que tout y a obéi à une seule et même impulsion. Il est peu d’édifices où le programme iconographique soit plus clair, mieux conçu et développé d’une façon plus logique et plus grandiose. Il en est peu aussi, où la statuaire se combine avec la ligne architecturale d’une façon plus disciplinée, de manière à ce que sculpture et architecture, se faisant valoir mutuellement, se confondent au point de former un tout d’une harmonie incomparable. Si la cathédrale d’Amiens peut être considérée comme l’apogée de l’architecture gothique, on peut en dire autant, croyons-nous, de la statuaire de son grand portail. Dans sa statuaire, aussi bien que dans son architecture, elle possède encore les qualités de l’époque précédente, tandis qu’elle contient déjà tous les germes du développement ultérieur de l’art gothique. Parmi ces derniers, il faut surtout remarquer une recherche du mouvement encore contenue, mais réelle et surtout vraie, la personnalité très remarquable de certaines figures, les arrangements tout intimes, les petites scènes d’intérieur que présentent les quatrefeuilles du soubassement. La cathédrale d’Amiens est dédiée à Dieu, comme toutes les églises, sous le vocable particulier de la Vierge Marie et de saint Firmin, premier évêque d’Amiens, dont elle possède le corps. Dieu se manifeste à l’homme par son Verbe. C’est donc au Verbe divin, c’est-à-dire à Jésus-Christ, au Fils de l’Homme, qu’est consacrée la porte centrale et ses dépendances. L’Eglise, temple matériel, a été figurée dans l’ancienne loi par le Temple de Jérusalem. Jérusalem elle-même est la figure de l’Eglise, épouse de Jésus-Christ, cité de Dieu, Jérusalem céleste, bâtie de pierres vivantes, qui remplace la Jérusalem déchue, et qui triomphera le jour où, dans son second avènement, le Christ affirmera d’une façon définitive le royaume de Dieu et la ruine du royaume de Satan. A un autre point de vue, l’Eglise enfin figure le fidèle, temple du Saint-Esprit. Tel est le thème merveilleusement développé dans le rit solennel de la consécration des églises, dans l’office de la Dédicace et dans les homélies de la plupart des Pères sur le même sujet ; telle est aussi certainement l’idée inspiratrice de l’iconographie de la porte centrale. Les deux autres sont dédiées, l’une, celle du sud, à la Vierge Marie, l’autre, celle du nord, à saint Firmin. D’où les noms populaires de ces trois portes : porte du Sauveur, porte de la Mère Dieu, porte Saint-Firmin.

      

    Extrait de :

     

     Vient de paraître : La cathédrale d'Amiens LA CATHÉDRALE D'AMIENS

     

     Georges Durand

     
      15.5 x 22 cm - 144 pages avec plans, cartes postales anciennes, photos d'époque - Guide

      Pour en savoir plus sur ce livre...

     

     

     

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